Debussy et les musiciens de la Grande Guerre à l’Arsenal de Metz
L’année 2018 est le centenaire de la disparition de Debussy mais également celui de la fin de la Grande Guerre. C’est donc autour de ce double anniversaire que s’articulent les pièces retenues pour cet ambitieux programme qui, en dépit de sa thématique particulièrement bien définie, atteste la plus grande diversité de styles, de registres et de tons. Dues à des compositeurs célèbres ou moins connus, à des poètes au talent plus ou moins reconnu, les mélodies présentées au cours de ce concert de l’Arsenal de Metz ont toutes un lien étroit avec le conflit qui ravagea la France il y a un siècle et qui décima une partie de sa population. On ne dira rien de tous ces artistes français, allemands, anglais ou autres, tous au talent prometteur, qui y perdirent la vie. Parmi les compositeurs figurant au programme, André Caplet, Henry Février, Reynaldo Hahn, Jacques Pillois et Pierre Véllones combattirent à Verdun, et certaines des pièces présentées lors du concert, telles La Balançoire et Un Bon petit garçon de Hahn ou les Chansons de la Woëvre de Février, furent directement composées sur le front. Le poète Léo Latil, auteur du texte du Rossignol de Milhaud, mourut dans les tranchées, et l’on connaît évidemment le destin d’Apollinaire, dont les vers toujours aussi mélodieux ont été mis en musique, pour n’évoquer que les pièces entendues lors du concert de ce soir, par Bohuslav Martinu dans Automne malade, par Jacques Brillouin dans Il pleut et par Louis Durey dans son Bestaire.
D’autres morceaux figurant au programme prennent la guerre comme matériau thématique, à l’image des Dernières pensées de Gabriel Pierné, vibrant hommage aux mourants, ou de Lettre de chez nous de Véllones, bouleversante déclaration d’amour adressée par l’épouse au soldat parti au combat. Si le ton général du programme est le plus souvent, et nul ne s’en étonnera, dominé par la tristesse, la nostalgie et la mélancolie, les déclarations teintées d’un patriotisme tout à fait entendable dans un tel contexte ne sont pas exclues non plus. Cela nous vaut, entre autres, le déchirant Noël des enfants qui n'ont plus de maison de Debussy ou encore, dans un autre registre, l’Élégie héroïque de Déodat de Séverac. L’humour et la gouaille ne sont pas absents d’un programme composé essentiellement de pièces plutôt savantes, grâce notamment au recours à la chanson populaire, illustrée en fin de première partie par l’hilarant Mimi Pinson met sa cocarde de Henry Février.
Dans un style plus nostalgique, mais néanmoins populaire, La Tranchée aux étoiles de Vincent Scotto clôt ce programme d’un infini raffinement et d’une indicible richesse. Parmi les bis proposés en fin de concert, quasiment en première mondiale, un des poèmes du Pierrot Lunaire d’Albert Giraud dans la version mise en musique par le compositeur hongrois Géza Vilmos Zágon (1889-1918), et dont la prosodie française avait été revue et corrigée par Debussy. Le grand compositeur français était d’ailleurs à l’honneur d’un colloque universitaire sis dans les murs de l’Arsenal, et dont le concert de ce soir était conçu comme une illustration.
Dans un programme où l’intelligibilité du texte est primordiale, il fallait une artiste à la diction exemplaire comme Françoise Masset. On aura apprécié, en outre, les belles couleurs argentées de sa voix, la longueur des phrasés, la beauté du legato et surtout la variété de l’expression, qualité essentielle pour un programme de ce type. Doté d’une belle palette de couleurs et de variations dynamiques appréciables, l’instrument, qui n’est pas en soi d’une grande richesse harmonique, rend pleinement justice à la variété des textes qui lui sont confiés. Le recours occasionnel à la voix parlée, notamment pour Mimi Pinson, participe de la variété inhérente à ce programme. Anne Le Bozec, au piano, est l’accompagnatrice idéale. Discrète et efficace lorsqu’il s’agit de soutenir le texte, elle n’hésite pas à faire sonner son instrument lorsque l’occasion lui est donnée. La Berceuse héroïque de Debussy, jouée en solo, aura été particulièrement appréciée.