Siegfried à la Philharmonie de Paris : entre forces brutes et méditations
Si quelques mois ont séparé le dernier accord de La Walkyrie d’avec les accents graves et incertains qui ouvrent Siegfried, la musique wagnérienne pétrie de leitmotive (thèmes musicaux), qui sont autant de rappels des journées précédentes, fait très vite resurgir les souvenirs. Les réminiscences sont d’autant plus fraîches qu’elles sont portées par de nombreuses figures connues : Valery Gergiev bien sûr, qui dirige le Mariinsky d’une main précise et frémissante, faisant émaner des pupitres de cordes un son bien affûté, mais aussi Mikhaïl Vekua, dans le rôle de Siegfried, et Andreï Popov, à nouveau en Mime.
Ces deux derniers forment le premier binôme du drame et instaurent d’emblée une dynamique théâtrale malgré l’absence de mise en scène. Andrei Popov joue un nain excédé par l’ingratitude de celui qu’il a élevé, Siegfried. Sa voix au timbre sec sied au personnage chétif et nerveux qu’est Mime. Le ténor agrémente son chant de postures comiques : bombant le torse, et agitant sa tête en se plaignant. Quelques faiblesses dans sa voix étouffent néanmoins la puissance de ses aigus. Avec son frère Alberich, joué par Roman Burdenko, ils forment un duo grotesque et désireux de mettre la main sur l’anneau. De son côté, Mikhail Vekua incarne un Siegfried fier et insouciant, qui, le sourire aux lèvres, dévoile la légèreté de ses aigus et donne vie à la poésie du texte.
Cette poésie dramatique saute aux oreilles, en particulier lorsque Siegfried reforge l’épée : les étincelles rougeoyantes du feu sont rendues visibles par la force des cuivres, le marteau et l’enclume apparaissent réellement dans l’orchestre entre les mains d’un percussionniste aguerri.
Vient ensuite la scène tant attendue avec Fafner, le dragon endormi dans la Grotte de l’Envie, remarquablement interprété par Mikhaïl Petrenko, à présent familier du rôle. La basse russe surprend par l’enveloppe profonde et épaisse de sa voix, puis amuse par le ton monocorde et ensommeillé qu’il arbore à chacune de ses interventions. Cette même couleur endormie est présente dans la voix de la mezzo-soprano Zlata Bulycheva qui incarne Erda, la déesse de la terre. Sa posture statique, sa retenue, dénoncent une passivité latente : déjà, la fin des Géants et des dieux se fait sentir.
À côté de ces scènes épiques, Wagner installe également des temps méditatifs, comme suspendus. C’est le cas, lors qu’apparaît l’Errant, figure mystérieuse et prophétique, qui n’est autre que Wotan, le dieu des dieux. Le baryton-basse Evgeny Nikitin convainc dans ce rôle en adoptant une posture sûre et solide : sa voix est parfaitement posée, sans excès, ses gestes sont mesurés. Mais peut-être la figure de l’oiseau qui mène Siegfried jusqu’à Brünnhilde excelle-t-elle encore davantage dans l’installation d’un climat serein. Après l’interlude aérien finement interprété par les bois, l’oiseau de la forêt par la jeune soprano Anna Denisova est fin et rafraîchissant. Cette percée lumineuse achève de s’ouvrir avec le réveil de Brünnhilde. Tournée volontairement vers la lumière des projecteurs, Elena Stikhina joue une Walkyrie rayonnante, au timbre puissant et aux vibrati limpides.
Le drame lyrique s’achève sur une aube nouvelle, celle de l’amour entre Siegfried et Brünnhilde, mais aussi sur celle de ce dimanche 23 septembre, les dernières notes s’éteignant tout juste à minuit, laissant un public happé et suspendu jusqu’au dernier son.
Retrouvez nos précédents comptes-rendus : L'Or du Rhin et La Walkyrie par Gergiev et le Mariinsky