Douleurs divines et joies cosmiques au Festival de Royaumont
L'invitation à Royaumont a tout d'un retour aux sources pour l'ensemble Cosmos, qui a vu le jour en 2015 à l'occasion de sessions de formations dans ce même lieu. Le programme présenté le 22 septembre 2018 dans le réfectoire des convers réunit six chanteurs du jeune ensemble vocal : Morgane Collomb et Alice Kamenezky (soprani), Damien Ferrante (alto), Paco Garcia et Thomas Lefrançois (ténors), ainsi que Maxime Saïu (basse). Deux instrumentistes les accompagnent : Loris Barrucand (orgue et virginal) et Justin Glaie (viole de gambe).
Intitulé Of grief and divine (« De la douleur et du divin »), le programme est conçu autour du verse anthem (hymne à versets). Cette forme vocale de la musique anglaise du XVIIe siècle est construite sur une alternance de parties solistes (verse) et chorales (full), chantée en langue vernaculaire (anglais) et peut être dotée d'un accompagnement instrumental, en l'occurrence ici orgue et viole de gambe.
Cosmos a privilégié des anthems de deux compositeurs, John Blow (1649-1708) et Matthew Locke (1621-1677), tout en prenant soin de varier légèrement les registres. Ainsi, les anthems choisis font le plus souvent entendre la douleur, le repentir et l'extrême mélancolie associés à la période trouble que traverse l'Angleterre au milieu du XVIIe siècle. C'est le cas par exemple de « Lord let me know mine end » (Matthew Locke) ou de « O Lord I have sinned » (John Blow). Toutefois, certains textes chantés expriment un peu plus de joie et d'espoir, comme « Jesus seeing the multitudes » ou « Let the righteous be glad » (John Blow). Le programme comporte aussi un exemple de texte mis en musique à la fois par John Blow et par Matthew Locke, « How doth the city sit solitary », ce qui permet de confronter deux écritures et notamment deux choix différents de distribution vocale.
La forme même du verse anthem est un choix judicieux en ce qu'elle donne la possibilité aux chanteurs de l'ensemble de mettre en valeur leurs qualités aussi bien de solistes que de choristes. Tour à tour, chacun peut s'extraire du groupe pour faire entendre sa seule voix, avant de s'insérer de nouveau dans le chœur.
Damien Ferrante chante les parties d'alto d'une belle voix douce, souple et fluide, aux aigus lumineux et aux graves à peine plus ternes. Les deux ténors, Paco Garcia et Thomas Lefrançois, présentent des qualités différentes. Le timbre mat du premier s'orne de jolis reflets dans le travail des nuances, en particulier dans le crescendo, tandis que la voix du second est souvent un peu plus brillante. Les deux voix s'accordent ainsi très bien sans se fondre l'une dans l'autre, par exemple dans « Lord let me know mine end » (Matthew Locke). Maxime Saïu, quant à lui, fait entendre une voix de basse assez claire, qui gagne en densité dans les aigus. De même que les voix de ténors, celles des deux soprani se distinguent aisément l'une de l'autre. La voix claire et légère de Morgane Collomb trouve de la brillance et de l'épaisseur en s'élevant dans les aigus. Celle d'Alice Kamenezky est charnue, veloutée, avec une belle homogénéité sur l'étendue de la tessiture.
Quand ils se rejoignent pour chanter en chœur, les chanteurs s'efforcent de préserver l'équilibre des voix, qui s'unissent et se croisent sans rechercher aucune uniformité. Ainsi, chacun reste identifiable et le chœur est riche de chacune des voix singulières dont il est constitué. L'articulation est soignée dans l'ensemble et les intentions dramatiques transmises avec justesse, sans amplification excessive.
Loris Barrucand et Justin Glaie ne sont pas seulement accompagnateurs, mais ont également l'occasion d'interpréter des pièces instrumentales. Ce sont eux qui ouvrent le concert avec Ground in D minor, une pièce de Henry Purcell (1659-1695), dont ils jouent aussi un peu plus tard Sefauchi's Farewell. Ils interviennent encore dans le concert avec une composition de Matthew Locke, Almain magnifique. Ils témoignent ainsi de leur entente musicale au-delà de l'accompagnement attentif qu'ils offrent aux chanteurs. Leurs interventions plus paisibles introduisent aussi un contraste bienvenu avec les chants douloureux et exaltés qui constituent la plus grande part du concert.
Ensemble Cosmos - Nuit et Mystère - Royaumont, 2017 :