Les Voix Nouvelles 2018 et 2002 enchantent le public du Théâtre des Champs-Élysées
La soirée, présentée en douceur par Judith Chaine, met à l’honneur ce qui sera probablement le futur de la scène lyrique française avec trois des six lauréats du 4ème Concours Voix Nouvelles 2018 soutenus avec bienveillance par trois lauréats de l’édition 2002. Chacun des six artistes a l’opportunité de se distinguer seul et en duo sur un répertoire dominé en première partie par des airs italiens tirés entre autres du Barbier de Séville de Rossini, de la célèbre Tosca de Puccini ou encore du Rigoletto de Verdi avant d’entamer une seconde partie plus marquée par l’opéra français et où le public a un aperçu des compositions de Massenet et Gounod avant un final collectif sur le festif Brindisi de La Traviata de Verdi.
Le jeune baryton Anas Séguin ouvre le concert en incarnant Figaro dans l’aria particulièrement difficile « Largo al factotum » (déjà chanté dans Un Barbier au TCE l'an dernier) avec une énergie débordante qui fait sans doute oublier au public une voix peut-être insuffisamment échauffée, peinant à maintenir avec constance le débit soutenu imposé par Rossini. Il est placé devant un orchestre très discret au début, qui prend de plus en plus de place jusqu’à écraser presque complètement sa voix manquant alors de projection. Anas Seguin revient plus tard dans le programme, toujours en Figaro, plus décontracté pour proposer un duo touchant, « Dunque io son » avec l’élégante mezzo-soprano Karine Deshayes qui interprète une Rosina convaincante au visage expressif et malicieux. Les deux artistes s’amusent ensemble et parviennent à provoquer le rire général du public grâce à un des rares moments "mis en scène" de la soirée. Le baryton clôt le programme par un second duo, « Pronta io son » (Don Pasquale – Donizetti), partagé avec l’intrigante soprano Caroline Jestaedt, qui sera sans doute sa prestation la plus mémorable. Plus impliqué que jamais, en osmose avec sa partenaire et malgré le grandiose de l’orchestre, il parvient à faire entendre au public la richesse de son timbre et des capacités de projection prometteuses en lien avec un soutien très en place.
La soprano Hélène Carpentier, Premier prix et Prix de la meilleure interprète du répertoire français du concours, montre sa maîtrise des nuances piano et pianissimo notamment lorsqu’elle se glisse dans la peau d’Adina pour interpréter avec une prestance et une humilité remarquables l’aria « Prendi, per me sei libera » de Donizetti (L'Élixir d’amour) qui révèle une voix de velours capable d’émouvoir. Les aigus sont bien présents même s’ils ne possèdent pas la rondeur et la chaleur attendues chez une soprano lyrique accomplie surtout lorsqu’ils sont émis à haute intensité. Quand elle incarne Micaëla dans « Parle-moi de ma mère » face à l’excellent ténor Florian Laconi, le public peut entendre une articulation perfectible, se perdant sans doute trop dans l’exécution des consonnes au détriment de la projection et de la précision des voyelles, rendant par moment le discours obscur. La bienveillance du ténor ainsi que leur capacité à mêler leurs voix embarquent toutefois le public vers une note finale tenue qui n’est que dentelle, magnifiée par le falsetto sublime de Laconi.
La jeunesse et la fraîcheur d'Hélène Carpentier sont un atout indéniable lorsqu’elle interprète avec candeur et malice la Marguerite du Faust de Gounod (« Ballade du Roi de Thulé » et « Air des bijoux ») qu’elle semble mieux maîtriser puisque sa diction, dans les médiums, semble bien meilleure.
Caroline Jestaedt, talentueuse soprano légère, ne fait malheureusement que deux – mais remarquables – apparitions pendant lesquelles elle parvient à séduire la salle par la richesse de son timbre, la souplesse de sa voix, ses aigus faciles, ronds, nuancés, sa diction quasiment parfaite ainsi que la puissance de sa projection. Elle se montre en outre d’une musicalité admirable, notamment dans l’air de Gilda « Gualtier Maldè… Caro nome... » (Rigoletto – Verdi) où l’orchestre, le chef et la chanteuse évoluent dans une symbiose parfaite la mettant particulièrement en valeur. Lors de son duo avec Anas Seguin, elle confirme sa maîtrise en se permettant d’incarner avec une facilité et un naturel déconcertant une Norina extravagante.
Dans un tout autre registre, le ténor Florian Laconi ravit également le public à chacune de ses interventions. Il commence en début de soirée par l’aria de Cavaradossi « E lucevan le stelle » (Tosca – Puccini) puis en seconde partie il incarne Jean avec « Ne pouvant réprimer les élans de la foi » (Hérodiade – Massenet). Il adopte ici une attitude noble et grave qui laisse l’audience libre de profiter d’une part de sa voix aux aigus faciles et d’autre part du texte délivré avec une clarté rare. Il se distingue également dans deux duos. Le premier déjà cité plus haut avec Hélène Carpentier et le second, « Pardonnez-moi Dieux de toute puissance » (Manon – Massenet) avec la soprano Nathalie Manfrino, qui transporte instantanément le public avec une intensité telle que le soulagement est palpable quand arrive la résolution à la fin de l’air.
Après son duo avec Anas Seguin, la mezzo-soprano Karine Deshayes revient sur scène deux fois, d’abord avec l’aria d’Elisabetta « Si vuol Di Francia il Rege » (Maria Stuarda – Donizetti) où elle révèle une voix aux médiums et aigus chauds et puissants mais des graves moins audibles, puis avec l’air de Sapho « Ô ma lyre immortelle » (Gounod) mis parfaitement en valeur par l’ampleur de sa voix et sa maîtrise.
Et enfin la soprano lyrique Nathalie Manfrino déploie sa voix claire dont les aigus remplissent la salle sur le fameux chant à la lune de Rusalka (Dvoràk) que l’orchestre magnifie malgré quelques notes graves difficiles à assumer pour ce type de voix. Elle revient plus tard avec l’air de Salomé « Il est doux, il est bon » (Hérodiade – Massenet) qu’une articulation précise même dans les aigus ainsi qu’une incarnation viscérale de la douleur de son personnage suffisent à faire oublier quelques excès de vibrato. Le public se souviendra sans doute surtout de son duo avec Florian Laconi (« Pardonnez-moi Dieux de toute puissance » dans Manon de Massenet) où sa voix se révèle entièrement et où le spectateur ne peut qu’oublier la technique devant le jeu engagé de Manfrino dont les quelques failles vocales délibérément disséminées tout au long de l’air transpercent l’âme.
Le chef Jean-Yves Ossonce, particulièrement directif et ne laissant rien au hasard, parvient, avec l’Orchestre Colonne à sublimer chaque prestation et atteste de sa maîtrise en transportant le public avec l’ouverture de Mireille de Gounod.