Fascinantes et vibrantes découvertes historiques et musicales avec Jordi Savall
La 39ème saison du Festival d’Ambronay, prenant pour thème Vibrations : Cosmos, rend un pertinent hommage à l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543), figure scientifique clé dans notre conception de l’univers, avec sa théorie héliocentrique (le monde tourne autour du Soleil et non pas autour de la Terre). Durant l’époque intense du XVIe siècle, troublée par de fortes tensions géopolitiques et religieuses, la pensée et la vie même de Copernic sont une grande leçon d’humilité qui inspire au grand violiste Jordi Savall un programme particulièrement intéressant, accompagné de ses ensembles La Capella Reial de Catalunya et Hespèrion XXI. Composé de 26 pièces instrumentales ou chantées, le concert est organisé en sept parties qui décrivent les périodes de la vie de Copernic, marquées par les témoignages musicaux des grands événements historiques et politiques. Le public ambrunois est ainsi propulsé dans la diversité des musiques, de la Bourgogne à l’Empire Ottoman, et devient témoin de l’évolution des styles de cette deuxième moitié de la Renaissance.
La courte première partie place le décor paisible de Toruń en 1466, petite ville polonaise qui verra naître Copernic, avec le doux solo de la chalemie –instrument à anche double à la sonorité nasale mais ronde– du Canon Perpetuum composé par le mathématicien espagnol Bartolomé Ramos de Pareja (ca.1440-1522). Né le 19 février 1473, le petit Nicolas (Copernic) grandit dans une Europe menacée par l’invasion ottomane, qui occupe déjà les frontières de l’Est, et crée des alliances pour se renforcer. C’est l’occasion pour Jordi Savall de confronter la douce et sage musique vocale polonaise (O nadroższy kwiatku et Cracovia civitas) avec celle instrumentale de l’intrigante marche turque « Turna », dans laquelle l’incroyable trio viole/cithare/tympanon semble improviser comme un seul homme, ou de la noble danse Dit le burguygnon.
À 18 ans, Copernic part étudier à Cracovie puis à Bologne et séjourne à Rome en 1500. Pendant ce temps, les juifs d’Espagne sont expulsés et les guerres italiennes éclatent. Après une sombre introduction de la viole, les quatre chanteurs masculins se positionnent en un cercle fermé pour interpréter a cappella un traditionnel sépharade, El pan de la aflicción, le public n’osant faire un seul petit bruit tant il est captivé. L’Angelus ad Virginem missus est également un moment rempli de sérénité, nourri par les voix de La Capella reial de Catalunya. Leurs timbres sont parfois individuels mais l’équilibre est toujours bien dosé, rendant pleinement service à l’harmonie et à ses couleurs.
Le mathématicien débute sa carrière au tout début du XVIe siècle, alors que l’Europe semble parvenir à des accords de paix. Après un très joli et tendre Ortus de Polonia du compositeur polonais Jerzy Liban (ca.1464-ca.1546), Jordi Savall et ses ensembles font découvrir le touchant Fortuna desperata : Nasci, pati, mori du suisse Ludwig Senfl (ca.1486-1542), aux saisissantes couleurs instrumentales et vocales. Entre 1516 et 1519, le contexte géopolitique et religieux est particulièrement tendu : les Ottomans envahissent tout le Proche-Orient, Martin Luther (1483-1546) placarde ses 95 thèses à Wittenberg, Maximilien d’Autriche meurt et Copernic doit arrêter ses recherches pour défendre Warmia des attaques des Teutons. Introduite par les énigmatiques couleurs orientales du tympanon, la Makām « Muhayyer pesrev » est une marche presque effrayante par les contrastes entre la douceur des instruments à cordes et la fierté majestueuse des instruments à vent. Les couleurs du Christ ist erstanden de Heinrich Isaac (1450-1517) sont plus proches de celles auxquelles l’auditeur occidental est habitué. Les harmonies du motet Proch dolor de Josquin des Prez (ca.1450-1521) sont absolument superbes, les voix s’entremêlant avec des interventions attirant sans cesse l’oreille, créant un véritable moment hors du temps. La courte fanfare Te Deum laudamus d’un auteur anonyme ramène soudainement le public dans un moment de victoire.
L’année 1525 marque le début de la Paix, laissant Copernic étudier ses théories qu’il expose dans son De revolutionibus orbium coelestium (1531). Après le paisible chant polonais Wesel się, Polska Korona, Jordi Savall fait découvrir une tendre plainte ottomane avec sa viole, parfaitement et excellemment doublée de la cithare et du tympanon. La notoriété européenne de Copernic grandit alors fortement, comptant parmi ses lecteurs Matin Luther et même le Pape Paul III. Le choral O Welt, ich muß dich lassen de Martin Luther et Heinrich Isaac montre l’évolution stylistique qui annonce déjà les prémices de la musique baroque allemande, par son traitement harmonique et mélodique. Dans l’intime Omnis mundus jocundetur, Jordi Savall exhorte ses chanteurs à avancer davantage, eux qui expriment une joie douce et sereine, sans doute trop retenue. Le bonheur ne s’exprime sans doute pas avec trop de profusion. Le 24 mai 1543, Copernic s’éteint. Les belles couleurs, douces et nostalgiques, de Méditation sur le martyre Divin d’un anonyme polonais décrit musicalement la fin de la vie de l’immense scientifique et du programme de ce soir.
Les applaudissements du public manifestent sa reconnaissance envers l’excellence des musiciens et l’intelligence humble de leur directeur Jordi Savall. Bien qu’ils offrent en bis le Omnes mundus jocundetur, l'assistance en veut davantage et, refusant de partir, insiste pour obtenir de nouveau la virtuose Marche turque Turna et le superbe Fortuna desperata.