Spirituels Haendel et Bach par Vox Luminis
En 1707, le jeune Georg Friedrich Haendel (1685-1759) est déjà parti à la conquête de l’Europe, en commençant par l’Italie. Dans les salons de Rome, il ne manque pas de rencontrer des personnalités prestigieuses avec lesquelles il se lie parfois d’amitié. Le mécène et cardinal Carlo Colonna est l’un de ceux-là. À l’occasion des vêpres des carmélites de l’église Santa Maria de Montesanto, le cardinal commande à Haendel un motet sur le Psaume 110. Le compositeur allemand est certes luthérien, mais il comprend parfaitement les règles de la musique catholique italienne et se montre tout à fait capable de les appliquer dans son Dixit Dominus HWV 232 (Parole de l’Éternel). L’œuvre, en huit mouvements, est créée le 16 juillet 1707.
L’Ensemble Vox Luminis est réuni au grand complet (orchestre et chœur) pour la première fois au Festival d’Ambronay. Comme toujours, il ne semble être dirigé par personne. Pourtant, dès les premières mesures du Dixit Dominus Domine meo (Parole de l’Éternel à mon Seigneur), l’auditeur ressent une même direction et des intentions communes, avec toujours une grande précision, tant dans le discours de chaque musicien que dans la diction des chanteurs. Lionel Meunier, membre du chœur, dirige par sa seule présence. L’homogénéité des timbres de l’orchestre et du chœur est impressionnante. Les regards (surtout des chanteurs) trahissent leur attention les uns aux autres, leur plaisir et leur passion pour ce répertoire. Certains mouvements sont l’occasion d’entendre certains choristes en tant que solistes. Le chanteur alto Daniel Elgersma montre une belle maîtrise du souffle au service de ses vocalises soignées, maîtrise qui pourrait être encore davantage utilisée dans la conduite de ses phrasés. La fraîcheur de la soprano Kristen Witmer magnifie un phrasé très joli et empreint de sincérité. L’écriture de Haendel encourage les jeux vocaux, mis en relief par des effets de nuances dont les moindres détails ont été assurément travaillés, en pleine cohérence avec le texte. Les hoquets du « conquassabit capita » (Il brise des têtes) sont par exemple d’un bel effet. Lors du « De torrente in via bibet » (Il boit au torrent pendant la marche), le jeu doux et feutré des cordes crée une atmosphère particulière dans laquelle deux sopranos peuvent chanter sereinement tandis que le chœur d’hommes, en retrait, tient le cantus firmus (mélodie de base). Ce mouvement est particulièrement superbe de profondeur et l’ensemble ne souffre d’aucun défaut de précision.
L’orchestre s’étoffe de vents et de percussions pour le Magnificat BWV 243 de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Celui-ci ne voyagea pas en Italie mais conquit également l’Europe à sa façon, s’inspirant de tous les styles et influençant par la suite lui-même d’autres compositeurs de toutes nationalités. L’une des nombreuses missions qui lui sont confiées en tant que maître de chapelle à la Thomaskirche est de composer une messe brève sur le Magnificat anima mea Dominum (Mon âme exalte le Seigneur) pour les vêpres des événements les plus importants dans le calendrier luthérien (Pâques, Pentecôte et Noël). Pour la fête de la Visitation de 1728, Bach reprend son premier Magnificat, composé pour la veille de Noël 1723, lui apportant un caractère plus joyeux et majestueux, notamment par l’ajout de trompettes. Le début du premier mouvement semble être un bref moment de mise en place entre les trompettes, un peu en retrait à l’arrière, et le reste de l’orchestre. Les interventions solistes ne manquent pas et sont l’occasion d’apprécier le sourire de la soprano Victoria Cassano, tant physique que vocal, la lumineuse et douce Zsuzsi Tøth en touchant duo avec le hautbois, la noble basse Geoffroy Buffière ou l’investi et autoritaire ténor Robert Buckland. Seul le duo du ténor Philippe Froeliger et du contre-ténor Jan Kullmann ne convainc pas totalement, leurs intentions semblant trop différentes, voire parfois opposées. En chœur, les chanteurs savent nourrir l’harmonie, absolument délicieuse lors du « Omnes generationes » (toutes les générations) du quatrième mouvement, joliment apaisante lors de la lente fugue du « Sicut locutus est ad patres » (Comme il l’avait dit à nos pères) et grandiose lors du final « Gloria Patri » (Gloire au Père).
La Messe en si mineur BWV 232 de Bach fait partie de la trop rare catégorie des œuvres à cinq voix. Bien que le public ne dissimule par son désir d’avoir toute une messe en bis, Lionel Meunier et son ensemble offrent le sublime chœur final « Dona nobis pacem ». Le public en est ravi d’avance et ne sort pas déçu. Entre autres qualités déjà remarquables et remarquées, l’accord final est si homogène qu’il évoque le son d’un orgue. Les saluts sont si chaleureux que Vox Luminis offre en ter le grandiose final du Magnificat, « sicut erat in principio » : comme il était au commencement.