Rencontres Musicales de Vézelay 2018 : l'excellence chorale avec Aedes
Nommé à la tête des Rencontres musicales de Vézelay au début du printemps, François Delagoutte succède à Nicolas Bucher (lui-même nommé Directeur général du Centre de musique baroque de Versailles), dont il défend la programmation pour cette dix-neuvième cuvée. C'est d'ailleurs ce dernier qui a fidélisé la venue de l'Ensemble Aedes dans le festival morvandeau, depuis trois ans. L'identité sonore du chœur fondé par Mathieu Romano en 2005, faite de lumineuse et sensible clarté, se reconnaît dans sa tournée estivale des musiciens, un spicilège de pièces vocales françaises, de Poulenc au Requiem de Gabriel Fauré dans son orchestration princeps (la version originale complète de 1893 dite pour "orchestre de chambre").
L'ouverture avec les Quatre petites Prières de Saint François d'Assise de Francis Poulenc témoigne d'un sens aigu de la scénographie, au diapason de l'intensité spirituelle de la Basilique Sainte-Marie-Madeleine, plongée dans une obscurité zébrée de discrètes et nocturnes bleutées. Utilisant la nef latérale droite comme coulisses, le consort de voix masculines sculpte avec soin ces méditations liturgiques brèves. Les modulations décantées des deux premières (Salut, Dame Sainte et Tout puissant) cèdent à la douceur intimiste de Seigneur, je vous en prie, quand l'invite augurale du ténor dans Ô mes très chers frères se fond dans l'homogène chair chorale. La limpidité de la ligne met en évidence la pureté expressive de l'écriture, privilégiant la couleur des mots à l'intelligibilité du texte. Dans une douceur d'éclairage propice au recueillement, les Litanies à la vierge noire s'accommodent plus naturellement de cette lisibilité instinctive. Soutenues par l'orgue de Louis-Noël de Camboulas, les anaphores de la piété se meuvent vers un apaisement aux confins du murmure, où les voix font entendre une évidente maîtrise dans la conduite rhétorique que l'on retrouvera dans la Messe en sol majeur, dont les contrastes sont restitués de manière vivante, sans jamais verser dans une exhibition théâtrale.
Les Trois Chansons de Charles d'Orléans de Claude Debussy qui la précèdent soulignent l'art ciselé du compositeur, qui a remis sur le métier dix ans plus tard deux pièces écrites en 1898 – données ici dans leur mouture primitive – qu'il fait introduire par une troisième, Dieu ! qu'il fait bon la regarder. S'y reconnaît le raffinement de la collégialité d'Aedes, qui se nourrit des affinités entre les timbres, façonnant des tutti souples et aérés, quand le morceau central, Quant j'ai ouy le tabourin, superpose le solo fruité de l'alto Anaïs Bertrand sur un canevas rythmique vocalique évocateur, distillant une délicieuse atmosphère pastorale.
Après l'entracte, le plateau se remplit des pupitres de l'orchestre Les Siècles. Mathieu Romano dirige un autre retour aux sources, la version dite de 1893 du Requiem de Fauré, qui ne compte de violon qu'un solo, assumé avec une exquise légèreté dans le Sanctus par François-Marie Drieux – les parties de cordes sont limitées aux altos, violoncelles et contrebasses, contribuant à une sobriété parfaitement comprise par les interprètes. Le résultat se révèle d'autant plus émouvant qu'il contient les épanchements. Aucune platitude cependant dans cette retenue : la pudeur de l'Introït équilibre le tuilage des parties, et prépare à un Offertoire admirablement calibré. À rebours des basses accusant un son rocailleux en guise de dramatisation, Jérémie Delvert privilégie une émission claire, mais jamais insipide, dans un détachement soliste qui n'écrase pas l'ensemble dont il est issu. Le Libera me, amené avec fluidité depuis l'Agnus Dei, le confirmera, dans une déploration dénuée d'extériorité sulpicienne inutile, et que les chœurs reprennent sans lourdeur déplacée. Le babil d'Agathe Boudet dans le Pie Jesu, qui dépasse la transparence séraphique séduira sans doute plus immédiatement, même si le frémissement du vibrato dépasse parfois l'humilité de l'inspiration, sans la troubler néanmoins, et dont l'In Paradisum final se fera l'écho au-delà de la dernière note. En bis, le Cantique de Jean Racine du même Fauré prolonge la parenthèse d'intériorité offerte par Aedes et Mathieu Romano, dont la battue orchestrale s'est bonifiée auprès des vertus chorales.