Jonas Kaufmann, magistral ténor wagnérien au Festival de Gstaad
Parce que ce concert s’ouvre d’abord sur des pièces sans voix, il convient de commencer par saluer la performance du Gstaad Festival Orchestra. C’est bien simple : celle-ci est parfaite d’intensité, de force dramatique, de tension et de sensibilité, aussi. Sous la baguette énergique du maestro néerlandais Jaap Van Zweden, la phalange (composée d’une centaine de musiciens issus des meilleurs orchestres suisses, de Bâle à Berne en passant par Zurich) livre dans un élan de plénitude musicale trois des grands « tubes » symphoniques de Wagner. D’abord l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg (opéra créé en 1868), puis le prélude et le Liebestod (« Mort d’amour ») de Tristan et Isolde (1865) et enfin « La Chevauchée des Walkyries » issue de l’opéra du même nom (1870). Dans chacune de ces pièces, redoutables par l’énergie absolue qu’elles requièrent, le Gstaad Festival Orchestra se montre absolument irréprochable, avec une maîtrise absolue de cette balance des nuances qui, plus qu’ailleurs sans doute, constitue l’essence du répertoire wagnérien. Au cours d’une riche première demi-heure de concert, le public passe par mille émotions, voit les frissons se succéder et ne cesse d’être tenu en haleine par une musique qui jamais ne traîne en longueur.
Jonas Kaufmann, bouleversant Siegmund
Après cette première partie symphonique, les solistes font leur apparition sur scène. Et notamment le plus attendu d’entre eux : Jonas Kaufmann. Ce dernier arrive en boitant légèrement et commence d’abord par s’asseoir (il souffre d’une douleur à un orteil). Mais ce n’est que pour mieux se mettre en lumière à mesure de l’avancée de cet acte I de La Walkyrie. Le ténor allemand y interprète un divin Siegmund, bouleversant de profondeur tragique et fantastique d’intensité vocale. Le chanteur vedette, avec son timbre chaud et aérien si particulier, dégage une déconcertante facilité d’émission sur l’ensemble des registres. Que dire de ses aigus vengeurs et guerriers dans l’air de l’épée (« Wälse, Wälse »), sinon qu’ils sont absolument éclatants et éblouissants, projetés avec une puissance jamais départie de maîtrise, et nantis d’un contrôle du souffle exceptionnel. Et le chanteur munichois n’est pas moins à l’aise quand il s’agit d’être davantage dans la sensibilité et la tendresse, comme dans les duos d’amour incestueux avec Sieglinde.
Sieglinde, justement, est interprétée par une irréprochable Martina Serafin. Rompue au répertoire wagnérien (elle sera Isolde à l’automne prochain à l’Opéra Bastille : il reste quelques places à réserver ici, ainsi que pour la Tosca de Kaufmann), la chanteuse autrichienne exprime un soprano qui ne manque pas de caractère. La voix est bien projetée sur l’ensemble de la tessiture, quoique davantage expressive dans les aigus. Quant à la force dramatique du personnage, tout comme la complicité qui la lie avec Siegmund, elle est pleinement restituée par la soliste.
Reste le rôle de Hunding, moins sollicité dans cet acte I. Il est campé par un Falck Struckman râblé, dôté d’une voix de baryton-basse profonde et ardente se déplaçant sur une large tessiture. L’aspect sombre et autoritaire du personnage est, ainsi, parfaitement incarné.
Une bien belle version de concert, qui ne laisse in fine qu’une seule frustration : celle que l’oeuvre ne se poursuive pas jusqu’à son terme.