Sacré Beethoven avec Jérémie Rhorer à La Chaise-Dieu
Le concert du Festival de La Chaise-Dieu, intitulé « Beethoven héroïque et sacré », avait d’abord pour programme deux œuvres de Ludwig van Beethoven (1770-1827) datant d’une période toute particulière pour le compositeur. En octobre 1802, il rédige une lettre restée célèbre et destinée à ses deux frères (missive surnommée « le Testament d’Heiligenstadt », du nom du village où il s’est isolé), où il partage ses souffrances, particulièrement celle de sa surdité grandissante. Dans cet état profondément dépressif, la musique l’aide à se relever : c’est sa période « héroïque » : il compose d'ailleurs en 1803 sa Symphonie n°3, dite « Héroïque », mais aussi son unique oratorio, Le Christ au mont des Oliviers, créé la même année. En première partie de concert, à la place de L’Héroïque, La Chaise-Dieu propose le Stabat Mater de Franz Schubert (1797-1828). Bien que les deux compositeurs se soient certainement croisés à Vienne, leurs personnalités, farouche pour l’un et réservée pour l’autre, n’ont jamais permis qu’ils ne communiquent.
Dans l’impressionnante abbatiale de La Chaise-Dieu, le concert débute par la traditionnelle ouverture au grand orgue XVIIIe, par un étudiant d’un Conservatoire supérieur de musique, qui prépare la qualité d’écoute de l’auditoire. Bien que le changement de programme ait été effectué suffisamment tôt pour modifier le livret imprimé, il semble que certains spectateurs l’aient découvert en entendant le Stabat Mater de Schubert. Malgré tout le professionnalisme et les qualités des artistes, il semble aussi que l’œuvre soit encore un peu fraîche pour eux. La direction de Jérémie Rhorer se fait relativement discrète et paraît même peu convaincue. La fugue du chœur « Erben sollen sie am Throne » (« Ils hériteront du trône ») et le brillant chœur final fugué « Amen » manifestent les qualités des choristes de la Vokalakademie Berlin et leur bonne préparation : clarté, précision d’ensemble et belles couleurs. Mais l’interprétation, certes très propre, semble freinée par une lourdeur là où doivent régner vivacité et exaltation. Les musiciens du Cercle de l'harmonie ne paraissent pas aussi prêts : la justesse et le son des bois ne sont pas toujours agréables et les placements et coups d’archets hasardeux de certains violons trahissent un manque d’assurance.
Le baryton Jean-Sébastien Bou fait entendre un « Sohn des Vaters aber leiden » (Fils du Père, tes frères doivent souffrir) rempli de nobles intentions, mais sa voix manque un peu de corps. La tête de Mathias Vidal étant plongée dans sa partition, sa voix l’est tout autant. Le public peut reconnaître le timbre charmant du ténor, mais il paraît toutefois mal à l’aise, voire nerveux : ses ornements vocaux restent scolaires et ses intentions sont encore mal assurées pour permettre la bonne compréhension du texte et du discours musical. Heureusement, le chant de la soprano Lenneke Ruiten (dont nous vous parlions récemment dans Les Sept Péchés capitaux à l’Opéra du Rhin) est plus fluide, sa voix est claire et justement projetée, avec un timbre idéal pour incarner la douceur maternelle.
Avec Le Christ au mont des Oliviers, la seconde partie de concert est tout autre, montrant les véritables qualités de chacun des musiciens. Après une ouverture sombre et tragique, Mathias Vidal déploie sa voix avec puissance, engagement et assurance, pour incarner un Jésus convaincant, et même héroïque ! Lenneke Ruiten, en Séraphin, fait de nouveau entendre son soin de la diction et s'envole dans des vocalises joliment maîtrisées. Il lui manque cependant le caractère terrible et autoritaire des cuivres lors de son récitatif « Verkündet, Seraph » (« Annonce, Sépharin »). Jean-Sébastien Bou interprète le disciple Pierre, qui n’a que peu d’interventions mais participe parfaitement au beau trio « In meinen Adern » (« Dans mes veines »). Le chœur de la Vokalakademie Berlin montre les mêmes qualités que lors de la première partie, particulièrement dans le tempétueux chœur des disciples « Hier ist er, der Verbannte » (« Le voilà, l’exil »). La direction de Jérémie Rhorer est ici beaucoup plus engagée et énergique, donnant à son orchestre le feu qui lui manquait précédemment et qui est encore plus nécessaire dans cette musique théâtrale, opératique même. Le public se souviendra des puissants contrastes du chœur des anges « O Heil euch » (« Ô salut à toi ») et évidemment de leur grandiose fugue de louange enflammée qui termine l’oratorio « Welten singen Dank und Ehre » (« Tous chantent leur reconnaissance et leur louange »).
C’est sans surprise que les Bravi fusent du public pour saluer cette fougueuse interprétation de cette œuvre majestueuse et injustement peu jouée de Beethoven.