Emouvantes Mysterien Cantatem par Les Surprises
La musique du baroque allemand est d’abord au service de Dieu et des églises, les compositeurs y faisant leur carrière. Ils étaient également réellement sincères dans leur démarche spirituelle, créant des œuvres aussi belles que profondes. Les mystères des tourments de l’âme humaine, de la mort et de la vie éternelle passionnèrent ces musiciens-intellectuels. On connaît le génie de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), auquel rend hommage le Festival Bach-en-Combrailles depuis 1998. On entend malheureusement moins d’autres compositeurs ne manquant pas non plus d’un répertoire admirable. Autour de la figure (obligée) de J.S. Bach, l’organiste et claveciniste Louis-Noël Bestion de Camboulas et son ensemble Les Surprises proposent un superbe programme faisant découvrir des compositeurs et des œuvres injustement trop rarement interprétées, en l’église de Giat, village du Puy-de-Dôme.
Le concert débute avec une Chaconne de Johann Pachelbel (1653-1706), genre musical idéal pour mettre en musique les métamorphoses constantes de la vie, par sa basse obstinée sur laquelle évoluent et s’entremêlent les mélodies. L’auditeur en ressent toujours un réel plaisir, aimant être surpris, par les mélodies et les différentes couleurs des instruments, dans un contexte harmonique qu’il connaît ou pense connaître. Sous la direction discrète de Louis-Noël Bestion de Camboulas depuis le positif et le clavecin, les quatre instrumentistes de l’ensemble transportent immédiatement le public dans leur univers musical. La chaleur ayant soudainement raison d’une des violonistes, le programme reprend en effectif réduit, le claveciniste se chargeant de remplacer au clavier la partie manquante. L’équilibre de l’ensemble, ses repères de justesse et de couleurs sont évidemment perturbés par cet incident et ce changement impromptu. Néanmoins, l’énergie, la complicité visible des musiciens et leur plaisir certain de faire de la musique ensemble, ainsi que leur indéniable professionnalisme, leur permet de retrouver rapidement un certain équilibre.
Nicolaus Bruhns (1665-1697) a laissé plusieurs cantates dont un intense De profundis clamavi (« Des profondeurs, je crie » - Psaumes 129), prière pour les défunts qu’interprète le baryton-basse Étienne Bazola. La profondeur de son timbre et sa sobre expressivité fait entrevoir un aspect assez froid du texte, la musique elle-même mettant davantage en avant la peur du jugement divin plutôt que l’espérance du pardon. Les instrumentistes font preuve d’une attention parfaite, anticipant à merveille tout changement de caractère et de tempo. Ils font ensuite preuve de virtuosité dans une belle interprétation d’une transcription de la PassacagliaBuxWV 161 de Buxtehude, qui influença beaucoup Bach après que celui-ci le visita en 1705 à Lübeck.
La seconde partie de soirée fait entendre une transcription d’une version de la méconnue cantate AchGott, wie manches Herzeleid BWV 58 (« Ah Dieu, combien de tourments »), dialogue pour soprano et basse composé pour le premier dimanche de l’an 1727. La soprano Cécile Achille et Étienne Bazola y font preuve d’une diction appréciable, particulièrement dans les récitatifs, toujours avec une expressivité retenue. La violoniste Marie Rouquié, qui remplace ici sa collègue, ne manque pas dans son déchiffrage de soigner les superbes phrasés, dont la direction est toujours intelligemment et communément menée par tous les musiciens des Surprises. Dans le HortusMusicus : Sonata Prima in a minor de Johann Adam Reincken (1643-1722), organiste et gambiste en poste à Hambourg dont le jeune Bach admirait les talents de virtuosité et d’improvisation, le public combraillais admire l’agilité du violon, de la viole de gambe (Juliette Guignard) et du clavecin, et succombe à l’intime expressivité de la viole et du théorbe (Étienne Galletier). La gestion des phrasés est de nouveau ici superbe, transportant l’auditeur là où la musique elle-même veut le mener, sans jamais le forcer et tomber dans l’exubérance gratuite et inutile.
Introduit par une belle et sereine improvisation de Louis-Noël Bastion de Camboulas à l’orgue, Cécile Achille se joint aux Surprises pour interpréter le motet funèbre Fried undFreudenreicheHinfahrtBuxWV 76/2 de Buxtehude (« Voyage paisible et joyeux »), composé à la suite de la perte de son père. La soprano y fait entendre sa voix au timbre clair, soutenu par un vibrato léger et menant des phrasés fluides. Après la première partie Mit friendund Freud (« Avec paix et joie »), la musique gagne en tristesse dans la Klag Lied (Chanson de Mort). La chanteuse gagne en expressivité, tout en gardant sa retenue, sa voix s’ouvrant comme le cœur de ce fils qui pleure la disparition de son père. Avec les sublimes couleurs des instrumentistes, particulièrement par le soin porté aux pianissimi, l’interprétation de cette lamentation est remplie d’émotions sincères.
C’est par ce beau moment de musique que la soirée se termine, malgré l’incident qui met toutefois en valeur le professionnalisme et les talents des musiciens des Surprises et de leur directeur artistique.