Donizetti à Munich ou le triomphe de l’amour et du rire : son élixir
Depuis sa première en 1832, L’Élixir d’amour de Gaetano Donizetti est resté l’une des comédies romantiques les plus jouées de la génération bel canto, à côté de son Don Pasquale et des opéras rossiniens Le Barbier de Séville et Cenerentola. Fondé sur un livret italien de Felice Romani, qui s’inspirait du texte français signé Eugène Scribe pour Le Philtre (1831), opéra de Daniel-François-Esprit Auber, L’Élixir propose non seulement une intrigue comique, mais aussi des thèmes d’une signifiance évidente pour nos jours : l’ennui de la vie de village, les grands rêves qui naissent de la lecture (le « Bovarysme »), ainsi que le malheur des classes populaires, que le manque de moyens et d’avenir pousse à rejoindre l’armée -un fait aussi clairement visible aujourd’hui, en Occident comme en Orient.
Or, cet ouvrage a pour but principal de divertir, comme en témoignent une fois de plus les réactions du public munichois. La mise en scène de David Bösch (décors de Patrick Bannwart, costumes de Falko Herold) date de 2009 et propose une interprétation plutôt classique, bien que placée au XXème siècle. L’élixir est ainsi mis dans une pompe-vaporisateur et le grand spectacle de Dulcamara concentré autour d’une boule magique, rappelant par sa forme un véhicule spatial ou une pieuvre. Comme dans la mise en scène d’Irina Brook au Deutsche Oper Berlin (2014), on ressent une affinité avec le monde du réalisateur Federico Fellini. D’un côté moins comique, Bösch montre parfois l’aspect harassant, harceleur des soldats envers la foule, ainsi que l’option du suicide pour Nemorino, ce qui est cependant vécu comme un ressort comique par des spectateurs rieurs.
S’étant déjà lancé dans le plus lourd répertoire puccinien (Tosca, Bohème, Gianni Schicchi), Vittorio Grigòlo incarne ici le jeune paysan. Malgré le désir d’un effet comique, son surjeu gêne et détourne des longues lignes musicales et d’un jeu vocal nuancé et beaucoup plus approprié. Il réussit essentiellement à maîtriser et raffiner l’ampleur de son instrument qui, bien projeté, transmet son timbre et les émotions du personnage. Ceci dit, parvient à conquérir le public, qui l’applaudit régulièrement après « Una furtiva lagrima » ou devant le rideau final. Il récompense cette affection en lançant même son débardeur en direction des spectateurs.
Olga Kulchynska (Adina) remplace au dernier moment Pretty Yende. Charismatique et munie d’une belle voix, plutôt riche que légère, elle convainc théâtralement dès sa première intervention, la lecture de la légende de Tristan et Iseut étant accomplie avec un ton vocal voilé pour marquer ce registre différent de son rôle. Aussi à l’aise dans les récitatifs que dans les coloratures solides mais précises, ses scintillants aigus à la fin de ses numéros (souvent la quinte : saut de cinq notes) trahissent l’écriture musicale familière de Donizetti. Son portrait comprend tous les aspects du personnage : la quête d’attention, le complexe de supériorité et l’ennui, ainsi que la ruse, la vulnérabilité et l’amour crédible.
Andrei Bondarenko incarne de manière convaincante le sergent Belcore, ferme et sadique jusqu'à soumettre son subordonné à un simulacre d’exécution. Sa voix puissante donne un caractère naturel aux récitatifs, alors que les coloratures et les gammes rapides sont parfois couvertes par l’orchestre (il faut toutefois reconnaître que ce chant, s'il était abordé avec trop de douceur, ne serait guère conforme au portrait que peint Bondarenko, d'un personnage peu amène).
Ambrogio Maestri, expert du répertoire comique (Gianni Schicchi, Falstaff, Don Pasquale, prochainement Bartolo), triomphe avec sa présence naturelle de Dulcamara, sa diction superbe et son instrument aussi vigoureux que nuancé, démontrant un véritable catalogue de moyens et de caractérisation. Il suffit de le mettre sur le plateau, et sa mimique seule suffit à créer le bon effet comique. Quant au jeu vocal, sa tendance à sauter dans la phrase et vers la ligne suivante reflète suprêmement l’excitation de l’art de la vente, persuadant la foule autant que le public d’une offre plus vraie que nature.
Paula Iancic interprète le moindre rôle de Giannetta, amie d’Adina, et lui prête son soprano clair et stable. Cette mise en scène augmente sa présence scénique, elle est ainsi souvent visible, notamment devant le rideau lors de l’ouverture, où elle joue avec des ballons gonflables, un symbole récurrent pour l’espoir qui s’envole – et pour les ailes de l’amour.
Sous la baguette de Giacomo Sagripanti, l’Orchestre et les Chœurs du Bayerische Staatsoper remplissent leurs fonctions comme éléments incontournables du drame, notamment dans la tendance de Sagripanti à lier les différents passages musicaux, évitant alors un arrêt entre les numéros, et dans l’accélération du tempo avant les interventions des chanteurs, poussant ainsi l’intensité dramatique en direction de son sommet.