Éclatantes Saisons de Haydn au Festival de Beaune
Après sa triomphale tournée londonienne entre 1791 et 1795, Joseph Haydn (1732-1809) revient la tête et les oreilles emplies des impressionnants oratorios de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) qu’il y a découverts. Dès son retour à Vienne, il travaille avec le Préfet de la Bibliothèque impériale, le baron Gottfried van Swieten, à la composition d’un premier grand oratorio, La Création (1799), glorifiant Dieu et décrivant les premiers émois d’Adam et Ève. À la suite du grand succès de leur collaboration, le librettiste propose un nouveau projet sur les saisons, thème inépuisable. En partant de la vie de l’homme rythmée par les quatre saisons de l’année, à travers les éléments de la Nature, Dieu apparaît dans toute sa puissance et sa bonté. Van Swieten s’inspire du long poème The Seasons (1726-1730) de James Thomson pour composer son livret. Mais son travail est, cette fois-ci, beaucoup plus personnel (et de fait, difficile avec Haydn) : il modifie largement le poème initial et introduit trois personnages : le fermier Simon, sa fille Hannah et le fiancé de celle-ci, Lucas. Le résultat témoigne toutefois d’une forme de compromis avec une musique à la fois très descriptive, mais alliant toujours avec génie la science de l’instrumentation et la finesse du traitement mélodique (jusqu’à de plaisantes citations). Il est entre autres fort saisissant de découvrir une ouverture qui semble annoncer la Symphonie n°6 « Pastorale » de Ludwig van Beethoven (1770-1827) créée en 1808 (soit quelques années seulement après la création des Seasons, en avril 1801 au palais du Prince Schwarzenberg).
Habitué du Festival international d’opéra baroque & romantique de Beaune depuis de nombreuses années, le chef d’orchestre britannique Paul McCreesh propose sa version des Seasons, enregistrée avec son ensemble en 2017. La majeure partie de son travail concerne le livret qu’il a réécrit pour atténuer les faiblesses (dénoncées dès la création), en se rapprochant davantage du texte originel de Tomson et laissant davantage place à la musique. Les récitatifs ont ainsi été entièrement réécrits. Quelques erreurs instrumentales – sans doute à cause des copies et éditions successives – ont été corrigées et les effectifs instrumentaux reconstitués au plus proche de ceux de l’époque.
Sur scène, Paul McCreesh emmène immédiatement dans un univers terrible, mû par les forces de la Nature, par sa direction énergique, engagée et parfois complice avec le public lorsqu’il lui jette un regard amusé alors que l’orchestre joue une très réussie autocitation de Haydn de sa Symphonie n°94 « La Surprise ». Ces qualités se ressentent évidemment dans le jeu des musiciens du Gabrieli Consort & Players, qui se montrent d’excellents soutiens pour le Chœur et les solistes. L’auditeur ne peut qu’être admiratif devant les couleurs incroyables introduisant l’Été, donnant véritablement l’impression de se retrouver au milieu d’une nuit sombre où percent lentement les premières lueurs de l’aurore, avec un cocasse appel du coquelet par la clarinette. L’on retiendra également les quatre cors rugissants qui donnent les plus beaux effets à l’intense chasse au cerf de l’Automne. L’ensemble aurait été sans doute parfait si la justesse ne faisait pas fréquemment défaut.
Lors des saluts, le public ne manque pas d’acclamer chaleureusement le Gabrieli Choir. Les moments impressionnants, par leur puissance, leur homogénéité et leur brillance, sont nombreux, à commencer par le dansant et très festif « Drink up, drink up, the wine is here ! » (« Buvons, buvons, le vin est là ! ») qui clôt L’Automne.
Les trois solistes du plateau sont tout autant remarquables, avec une technique vocale irréprochable, un irrésistible sens du discours, une prononciation parfaite et une très appréciable présence scénique. La ravissante soprano Carolyn Sampson interprète une Hannah malicieuse à la voix angélique. La gestion du souffle et la maîtrise du phrasé du Lucas de l’élégant ténor Jeremy Ovenden impressionne, notamment lors de sa Cavatine « Exhausted Nature, fainting, sinks » (« La Nature est épuisée, défaillante, sombre » - L’Été). Enfin, le personnage de Simon plein d’assurance du baryton Ashley Riches est également très convaincant, de sa voix puissante et très compréhensible – malgré une tenue scénique et hors-scène un rien hautaine.
C’est le paysan Simon qui chante avec sagesse la sentence spirituelle de l’oratorio, dénonçant la vanité des hommes et affirmant que « seule demeure la Vertu », car c’est grâce à elle que « les portes du Ciel s’ouvrent ». Tous chantent alors avec grande puissance la louange à Dieu dans une glorieuse fugue finale, marquant assurément le public enchanté.