Une Bohème nostalgique de Notre jeunesse au Comique
C'est une version de La Bohème de Puccini réduite à 1h30 et 13 musiciens, traduite en français, que propose l'Opéra Comique de Paris en ce mois de juillet si éloigné du froid fatal du livret. Les coupes rendues nécessaires par cette version adaptée aux familles restent discrètes et ne nuisent nullement à la cohérence musicale et dramatique de l'œuvre. Un accordéon et un marimba, dont le son boisé brûle et réchauffe les harmoniques de cet ensemble chambriste, habitent cette adaptation musicale signée Marc-Olivier Dupin. Quant au texte (réécrit par la metteure en scène Pauline Bureau), il peine parfois a conserver la musicalité des mots et la simplicité de la prosodie, mais il est remarquablement écrit dans les duos, où les sonorités de chaque partie résonnent avec celles de l'autre. De même, dans le final, le parlé-chanté théâtral gagne en conviction a être déclamé dans la langue du public.
Le décor d'Emmanuel Roy utilise judicieusement les vidéos de Nathalie Cabrol pour caractériser les espaces et les faire évoluer par des traveling très cinématographiques. La modification du titre (Bohème, Notre jeunesse) exprime la nostalgie de cette jeunesse insouciante et amoureuse, une fois confrontée aux catastrophes de la vie. Ainsi, alors que Marcel déclare déjà à l'acte III "Ma jeunesse, tu n'es pas encore morte", Colline répond à la fin de l'ouvrage "Notre jeunesse est finie". L'action du temps s'exprime aussi par la destruction (en vidéo) de la rue du Café Momus à la fin de l'acte II, référence aux grands travaux haussmanniens, ainsi que par la construction de la Tour Eiffel, qui apparaît plus tard en arrière-plan.
La fragile Mimi s'incarne en Sandrine Buendia, dont le jeu oscille entre une certaine forme de naïveté et de la candeur. Sa belle diction (avec des "ou" bien fermés) et son phrasé expressif la prédestinent au personnage de Blanche (dans les Dialogues des carmélites), dont elle a les accents. La pureté de sa voix ne nuit pas à son expressivité, notamment grâce à la rondeur de son vibrato. Son chant nuancé offre des piani ambrés, intenses et aériens (que la flûte accompagnatrice, manquant de légèreté, ne parvient pas à suivre). Kévin Amiel offre à Rodolphe sa voix vive au timbre étincelant. Ses jolis aigus souffrent parfois d'un léger défaut de justesse lié à un vibrato aussi abondant qu'éloquent, mais il dispose du timbre de bronze qui sied si bien au répertoire vériste. Sa technique lui permet d'incorporer un large panel de couleurs et d’intentions à son chant : pour adoucir sa voix, il augmente par exemple la quantité d'air émise, grâce à un souffle maîtrisé.
Marie-Eve Munger, en Musette, expose une voix affirmée et enjôleuse, aux aigus tranchants, aux beaux graves poitrinés, et un jeu incandescent. Elle module son jeu en fonction de l'humeur de son personnage, se montrant aussi convaincante en séductrice extravertie qu'en amie généreuse. Dernier chanteur à disposer d'un air dans cette version réduite, Colline est interprété par Nicolas Legoux. Si sa voix manque de stabilité dans les ensembles des deux premiers actes, son timbre mat se perle d'émotion dans l'air du manteau et ses lignes gagnent en structure.
Avec une partie amputée, Jean-Christophe Lanièce chante le rôle de Marcel d'une belle voix aérée et d'un phrasé plein d'autorité. Ses aigus sont éclatants et ses graves bien structurés. Son jeu théâtral reste toutefois un peu statique et raide. Schaunard, dont le rôle est également en grande partie coupé, prend les traits de Ronan Debois : s'il expose régulièrement ses talents comiques, il a ici la possibilité de dévoiler sa sensibilité tragique. Sa voix manque toutefois de projection. Enfin, Benjamin Alunni est un Alcindor au ténor de caractère.
Alexandra Cravero dirige les Frivolités Parisiennes qui parviennent à peindre les ambiances naturalistes du drame puccinien, malgré quelques fausses notes. Les musiciens tentent de compenser l'absence du chœur à l'acte II, mais ce dernier manque tout de même terriblement à la puissance musicale de la scène.
Les cris déchirants de Rodolphe (homonyme dans cette version du héros de la merveilleuse Nonne sanglante donnée in loco le mois dernier) clôturent la soirée : ému, le public applaudit chaleureusement des artistes au visage fermé, peinant à sortir de leurs rôles.