Les débuts d’Edgardo Rocha aux Chorégies d’Orange
Éliminé, l’Uruguay ? Pas dans le cadre des Festivals de musique, dont le principe est d’accueillir plutôt que d’évincer ! Et c’est peu de dire que les Uruguayens sont présents aux Chorégies : une triple présence, rayonnante et appréciée du public ! Après la prestation de chanteur-équilibriste d’Erwin Schrott dans Mefistofele (voir le compte-rendu Ôlyrix), c’est au tour de ses compatriotes Edgardo Rocha et de son pianiste Bernardo Aroztegui de ravir le cœur du public, avec un récital très éclectique donné dans le cadre des concerts de la Cour Saint-Louis.
Mélodies italiennes et espagnoles, airs d’opéras italiens et français alternent ainsi avec un bonheur (quasi) égal, et le public fête le jeune ténor – que la France a déjà eu la chance d’applaudir plusieurs fois : dans le Stabat Mater de Rossini au Festival de Saint-Denis, L’Italienne à Alger de Nancy ou La Cenerentola de Monte-Carlo et Versailles. Ceux qui suivent Edgardo Rocha sur les réseaux sociaux (où le ténor se montre très actif) avaient pu glaner quelques indices sur le programme du concert : l'artiste s'y promenant ces derniers temps en fredonnant gaiement l’air de Peppe dans Rita ou le mari battu de Donizetti, ou encore La Danza de Rossini, ou encore Musica proibita (Musique interdite) de Gastaldon.
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Le répertoire italien le trouve tout aussi convaincant. Plus que dans l’air de Narciso (Le Turc en Italie), exprimant parfaitement l’énergie et la colère du personnage, ou encore dans le long et difficile air d’Idreno La speranza più sova (L’espérance la plus suave, Semiramide de Rossini), aux vocalises et aux aigus redoutables, c’est peut-être dans la Danza de Rossini, idéale de verve, de mordant et de précision rythmique (une Danza au demeurant très appréciée par le public) ou dans l’air de Peppe (Rita ou le mari battu, œuvre posthume de Donizetti) qu’Edgardo Rocha excelle le plus : de cet air, il propose pertinemment l’original français (« Je suis heureux comme un pinson ») et non la version traduite italienne. Edgardo Rocha trouve naturellement le ton enjoué et naïf de ce jeune homme qui croit être débarrassé de la femme qui le maltraite, et se réjouit d’être enfin redevenu « garçon » ! Grâce à sa prononciation du français tout à fait satisfaisante (nasales et semi-consonne « ui » incluses !) et à sa compréhension du texte, le ténor confère aux mots et aux phrases, sans excès, toute la teneur comique qu’ils contiennent, pour la plus grande joie des spectateurs. Edgardo Rocha lance avec facilité les aigus dont est hérissée la partition.
Aux côtés de cette page franco-italienne, Edgardo Rocha propose également un air du Postillon de Longjumeau (d'Adolphe Adam) enthousiasmant (malgré un aigu final un peu écourté), et la « Fantaisie aux divins mensonges » de Lakmé (Delibes) qui lui permet de faire valoir, comme un peu plus tard dans la partie cantabile (chantante, d’allure douce et gracieuse) de l’air de Ramiro (La Cenerentola) un chant suave et un joli sens des nuances. La voix du ténor n’est peut-être pas celle attendue a priori dans le répertoire français, où l’on est habitué à des timbres un peu moins éclatants, plus ombrés, plus veloutés. Mais cette particularité peut tout aussi bien être considérée comme un atout, conférant une certaine originalité à l’interprétation. Quoi qu’il en soit, le respect de la langue française et le style sont là, ce qui suffit largement à encourager l’artiste à persévérer et à proposer d’autres interprétations de ce répertoire (Edgardo Rocha a déjà interprété les rôles de Nadir dans Les Pêcheurs de perles et de Léopold dans La Juive à Nancy et Munich).
Comme pour le récital de Karine Deshayes quelques jours plus tôt (voir le compte-rendu Ôlyrix), le concert se déroule dans des conditions assez éprouvantes avec une très grosse chaleur (Edgardo Rocha, à mi-concert, entonne même en voix de tête un O sole mio légèrement accusateur !) mais aussi du mistral. Le chanteur fait néanmoins preuve d’une belle endurance, ne laissant rien paraître et déployant pendant une heure un art du chant consommé et une technique aguerrie : vocalises élégantes, chant pianissimo et legato (très belle reprise à fleur de lèvres de La speranza più soava), trille délicat et chanté piano sur le « ti stringero » / « je te presserai » de l’air du Prince (La Cenerentola), médium coloré et tendre avec de beaux effets de voix mixte, engagement total (dernières phrases de Musica proibita). Seuls deux ou trois aigus forte sont légèrement vacillants. Le pianiste est joliment complice du chanteur, constamment attentif, nuancé, bien que le soleil frappe sa nuque avec une belle constance pendant tout le concert !
Les grandes qualités vocales et interprétatives d’Edgardo Rocha lui valent un accueil plus qu’enthousiaste de la part du public. Et lorsque le ténor chante son bis en s’accompagnant lui-même au piano (Edgardo Rocha est également diplômé de piano, de direction de chœurs et d’orchestre), le cœur des spectateurs chavire et tous le remercient debout !