Le Pèlerinage Bach de Sir John Eliot Gardiner se poursuit à la Chapelle Royale de Versailles
À l’aube des années 2000 Sir John Eliot Gardiner, à la tête du Monteverdi Choir et des English Baroque Soloists, entreprit un « pèlerinage Bach » qui lui fit enregistrer l’intégrale des cantates de Bach après les avoir données en concert dans des lieux prestigieux. Cette année, le pèlerinage se poursuit à la Chapelle Royale de Versailles au cours de deux concerts de deux programmes de cantates, sur deux thématiques liturgiques différentes : des cantates du temps de Pâques et, ce soir, des cantates du temps de l’Avent. La collaboration des deux ensembles est fréquente : Sir John Eliot Gardiner, figure incontournable dans l’interprétation du répertoire baroque, en est le fondateur et le Directeur artistique. De plus, auteur de Musique au château du ciel : un portrait de Jean-Sebastien Bach, et depuis peu, Président de la fondation des archives Bach de Leipzig, il voue une immense passion pour ce compositeur. C’est donc en terrain connu qu’il présente ces quatre cantates : BWV 70 « Wachet! Betet! », BWV 36 « Schwingt freudig », BWV 61 « Nun komm, der Heiden Heiland » et BWV 110 « Unser Mund ».
Ces pages musicales ont été composées pour le temps de l’avent, moment particulier pour les chrétiens qui, quatre semaines avant Noël, se préparent à célébrer la venue de Jésus. Leurs titres : « Veillez! Priez! » (n° 70), « Élevez-vous avec joie » (n°36), « Viens, Sauveur des païens » (n° 61) et « Notre bouche s’emplit de rire et nos lèvres de chansons » (n°110) évoquent la douce joie de l’attente du fils de Dieu. La Chapelle Royale offre un écrin précieux à ce moment musical serein et c’est dans une grande joie que les chanteurs et les instrumentistes prennent place dans le chœur.
Le concert commence au son de la trompette baroque sur des appels du chœur : « Wachet! Betet! ». Dès sa première intervention l’homogénéité du chœur est frappante. Elle va de paire avec une technique vocale commune à tous. Pour ce faire, le Chœur s’est engagé dans un programme pédagogique formant de jeunes chanteurs qui, par la suite, peuvent devenir membre à part entière. Les chanteurs interviennent soit au sein du groupe, soit en s’avançant sur le devant de la scène pour les parties solistes. Ils participent à la recherche d’homogénéité de par une émission vocale aisée sans grand vibrato, recherchant un timbre bien défini sans puissance démesurée et favorisant une intelligibilité parfaite.
Dans la première cantate, Peter Harvey, baryton-basse, colore son récitatif d’élans tantôt menaçant, tantôt emplis de tendresse quand ils s’adressent aux enfants de Dieu. Il manque de puissance lorsqu’il évoque le son des trombones du jugement dernier et que la trompette se joint à lui, mais il suggère le réconfort, la sérénité et la joie dans une grande simplicité touchante, usant du registre mixte pour atténuer les montées dans l’aigu et ne pas paraître trop opératique. Le récitatif de la cantate BWV 61 figurant Jésus frappant à la porte, qu’il chante du haut de la tribune, est saisissant. Les pizzicati délicats des cordes et la suavité de son chant évoquent toute l’humanité du fils de Dieu.
Les deux interventions du contre-ténor Reginald Mobley dans les cantates BWV 70 et BWV 110 sont très applaudies. Il évolue habilement d’un registre à l’autre, utilisant la voix de poitrine pour intensifier son discours. Dans un grand souci d’intelligibilité, il s’appuie sur les consonnes et la répétition de l’interjection « Ach » du premier air est chargée de sens. Son registre de tête qu’il teinte subtilement se marie parfaitement à la douceur du timbre du hautbois d’amour dans l’air « Ach Herr, was ist ein Menschenkind » ( Hélas, Seigneur, tu cherches le salut) de la n°110. L’émerveillement de Noël est incarné par sa présence lumineuse.
La voix de ténor de Gareth Treseder est assurée lorsqu’il la projette du chœur mettant en garde les croyants des pièges qui les attendent (BWV 70). L’air suivant est très contrasté de par l’utilisation des trois registres : mécanisme lourd quand il chante « levez vous ! », mixte quand il évoque les âmes et registre de tête pour le paradis. Elle peut aussi perdre quelque peu le timbre dans trop de douceur : « l’amour attire doucement ce qu’il a de plus cher » qu’il chante avec du souffle sur la voix. Cependant son expressivité y pallie, et provoquant un soutien corporel plus affirmé, sa voix se timbre richement sur « Chantez, sautez de joie ».
La difficulté de l’écriture vocale de Bach se manifeste notamment dans les airs pour ténors en les sollicitant sur une tessiture importante au cours de phrases très développées. Heureusement, Ruairi Bowen possède les notes graves sonores qu’impose la cantate BWV 61 et son visage d’ange au sourire annonce la venue du sauveur (Komm, Jesu, komm). Il dialogue souplement avec les deux traversos (flûtes anciennes) dans l’air de la Cantate BWV 110 et possède la longueur de souffle nécessaire aux phrases tortueuses du compositeur.
Chez Bach, la voix de soprano est la voix du cœur, de l’intime, que Julia Doyle allie suavement au violon dans la cantate BWV 36 (« une voix douce et faible peut aussi honorer la gloire de Dieu. » ). La complicité des deux interprètes est touchante : elles se regardent, se répondent, s’imitent, faisant de ce duo le véritable moment de grâce du concert. Sa grande souplesse vocale fait oublier les sauts d'intervalles conséquents rendant simple le phrasé quasi instrumental de Bach.
L’accroche de la voix de soprano de Hana Blazikova lui permet également d’invoquer la confiance en Jésus sans avoir à forcer le volume sonore (BWV 70). La rigueur de l’articulation, le travail du son (droit, enflé, vibré) et la souplesse du phrasé en font une interprète de Bach de premier ordre.
Sous la direction attentive et discrète du chef, les English Baroque Soloists sont remarquables de précision rythmique permettant à l’auditeur de profiter de toutes les subtilités d’écriture de Bach. Ils déploient un son d’ensemble somptueux soutenu par la splendeur des timbres des instruments à vent, les deux hautbois d’amour et les deux traversos conviant la douceur, et les trompettes, la joie.
Pour remercier le public de son ovation chaleureuse et pour que se prolonge la ferveur joyeuse de Noël, le premier chœur de la cantate BWV 110 est repris avec ses vocalises rieuses : « Notre bouche s’emplit de rire et nos lèvres de chansons. Merveilles que fit pour nous le Seigneur. »