Débuts réussis à Paris pour Maria José Siri avec Gregory Kunde au TCE
Contrairement aux opéras, qui laissent aux chanteurs des moments de répit en intercalant des ensembles, des passages symphoniques ou les airs d'autres personnages, les récitals sont extrêmement exigeants pour les chanteurs puisqu'ils leur demandent d'enchaîner les performances. C'est la raison pour laquelle les récitals proposent des interludes symphoniques. C'est aussi, sans doute, la raison pour laquelle Maria José Siri a souhaité faire ses débuts français en duo, afin d'alterner les performances avec un autre artiste.
Toutefois, le programme est étonnamment construit, alternant les longs épisodes symphoniques, et les longues interventions vocales (d'autant que les morceaux orchestraux sont extraits d'œuvres qui ne seront pas chantées, et surtout, relèvent de caractères et d'esthétiques très différents : l'Orchestre du Théâtre Communal de Bologne dirigé par Michele Mariotti joue ainsi Guillaume Tell de Rossini entre Un bal masqué, Macbeth et Aida de Verdi). Les chanteurs sont donc mis à rude épreuve, ce qui entame quelque peu l'endurance de Gregory Kunde mais -marque des grandes- permet à Maria José Siri de gagner encore et toujours en assurance.
Les premiers témoins de cette assurance croissante sont ses aigus : si les premiers sautent sur le Bal masqué ("Ecco l’orrido campo"), les seconds s'arrondissent grâce au duo avec Kunde ("Pur ti riveggo, mia dolce Aida") et les derniers sont impressionnants, triomphants (sur "Pace mio Dio" extrait de La Force du destin, elle commence dans un incassable filin de voix qui s'épanouit jusqu'à emplir le Théâtre et provoquer une acclamation). D'autant que ces aigus, cette voix et ce récital sont soutenus, du début à la fin, par les impressionnantes résonances graves de la chanteuse. Toutes les notes sont ancrées et même lorsqu'elle use (et abuse) des soubresauts vers le grave, elle ne plonge pas vers la voix de poitrine mais s'appuie sur ses résonateurs, conservant sa rondeur jusqu'en ses cimes. D'autant qu'elle survole toujours le volume de l'orchestre (qui peut ainsi s'emporter dans de naturels élans fortissimi).
Tout comme elle, Gregory Kunde fait une démonstration sonore de son talent et bien que le programme pousse à ses extrêmes son endurance, il relève grâce au métier assuré le défi d'enchaîner les performances (notamment la succession du solo "Forse la soglia attinse" dans Un Bal masqué et du duo "Ah per sempre mio bell’angelo" dans La Force du destin, que les longs passages orchestraux auraient pu venir éloigner, étancher, épancher). Le ténor, grand musicien choisit toujours son rubato (prise de liberté rythmique) avec discernement et grande modération, avançant ou retenant la pulsation pour exprimer ses élans signifiants. Par la technique, par un soutien appuyé, une couverture affermie et ce timbre belcantiste aux reflets solaires, il se hisse au volume de Siri et à l'intensité de ces drames chantés.
Portés (car accompagnés et soutenus) par un orchestre qui parle naturellement italien et bel canto, qui met la cavalcade convoquée par le Guillaume Tell de Rossini au service de la passion Verdienne, les deux artistes triomphent, recevant chacun son tour, puis ensemble et dans un sourire radieux, une ovation méritée.
"Pur ti riveggo, mia dolce Aida" chante Kunde à Siri, chante Radamès à Aida (Enfin je te revois !). Assurément le public souhaiterait en dire autant et revoir en France une artiste aux débuts in loco si réussis, elle qui chante en Allemagne, Argentine, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Japon, Monaco, Suisse, mais pas encore en France. Elle qui chante souvent "Un bel dì, vedremo" de Madame Butterfly : "Un beau jour, nous verrons".