Une Italienne à Alger vif-argent au Théâtre des Champs-Élysées
Michele Mariotti, Directeur musical du Théâtre Communal de Bologne, se déplace au Théâtre des Champs-Élysées avec son Orchestre et ses Chœurs pour présenter au public parisien deux concerts, le premier consacré à L'Italienne à Alger de Rossini et le second le lendemain pour un récital d’airs d’opéras de Verdi réunissant la soprano María José Siri et le déjà légendaire ténor américain, Gregory Kunde.
Le lecteur trouvera sur le site une présentation complète de cet opera buffa, composé en seulement 27 jours en 1813 par Gioachino Rossini sur un livret d’Angelo Anelli, déjà utilisé quelques années plus tôt par le compositeur napolitain Luigi Mosca, et qui se rattache pleinement au genre de la turquerie qui de Mozart (L’Enlèvement au sérail), Gluck (Les Pèlerins de la Mecque) en passant par Rameau lui-même (Les Indes Galantes), fut inspirateur, par son exotisme et ses fastes, de nombreux compositeurs. Rien d’innovant donc, mais la faconde déployée mêlée d’un discret lyrisme sentimental, permet de situer L’Italienne à Alger parmi les plus authentiques chefs-d’œuvre du Maître de Pesaro. Le personnage très téméraire et moqueur d’Isabella, la belle italienne convoitée par le pacha Mustafà, ouvre la voie à des incarnations féminines plus singulières dans le paysage lyrique de cette première partie du 19ème siècle. Bien entendu, l’ambiance générale de l’ouvrage se veut en premier lieu divertissante sans pour autant occulter une certaine moralisation sous-jacente voire une critique politique. Les scènes caricaturales et désopilantes du fameux Kaïmakan, titre attribué à Taddeo, amoureux transi d’Isabella, par le Pacha ou celle du Pappatacci qui mystifiera ce même Pacha pour mieux dissimuler le départ d’Isabella et de ses proches vers l’Italie, constituent les morceaux mémorables de l’opéra. Point suprême cependant, ce final du premier acte avec ces onomatopées absurdes qui bousculent les interprètes dans une sorte de folie douce d’une rare difficulté vocale. Sous la baguette endiablée de Michele Mariotti, cet ensemble est interprété tambour battant par tous les chanteurs présents, qui semblent comme déchaînés !
Ce week-end, c'est le magnifique orchestre du Teatro @ComunaleBologna qui amène le vent de la musique italienne au TCE, sous la baguette de Michele Mariotti qu'il nous tarde que vous découvriez! Ce soir à 20h: L'Italiana in Algeri Demain soir: récital de @sirimajo & Gregory Kunde pic.twitter.com/PWRqb7ldz9
— THEATRECHAMPSELYSEES (@TCEOPERA) 22 juin 2018
Marianna Pizzolato, qui fit ses débuts au Met de New York avec ce rôle d’Isabella, déploie un art savant de la vocalise et du chant spianato (apaisé, lissé). Elle exploite au mieux, dans son air du deuxième acte, cette dernière spécificité basée sur une belle longueur de voix, à défaut d’être fort large, et un souffle parfaitement conduit. L’aigu est brillant, accrocheur, la composition savoureuse et mutine. Sans être réellement la contralto coloratura impétueuse attendue, Marianna Pizzolato convainc par son intelligence vocale qui jamais ne cherche à forcer le trait ou à creuser inutilement le grave, ici toujours naturel. À ses côtés, son amoureux Lindoro possède les traits et la voix du ténor Antonino Siragusa. Rien ne manque au rôle traduit avec vaillance, efficacité, aux traits belcantistes précis. Mais l’aigu et le suraigu, émis sans aucune difficulté ni force, apparaissent bien nasals et viennent entacher quelque peu une ligne vocale qui développe des couleurs autrement plus chaleureuses.
La basse Carlo Lepore fait un grand numéro dans le rôle du Pacha Mustafà, tout en énergie et à la limite du caricatural. La voix sonore développe un grave bien assis et des vocalises adéquates. Roberto De Candia est irrésistible en Taddeo, rôle qu’il domine avec aisance de toute sa rondeur et avec affirmation, d’un timbre plus clair que celui de Carlo Lepore : ils forment un couple masculin rossinien de haute école ! Moins conquérant, mais doté de son air souvent négligé, le baryton Andrea Vincenzo Bonsignore campe un Haly de bon aloi, tout comme Cecilia Molinari, mezzo-soprano de caractère, dans le petit rôle de la suivante Zulma. La soprano Lavinia Bini incarne l’épouse négligée de Mustafà, Elvira. Son aigu assez dur domine un peu trop les ensembles.
La magnifique tenue de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Bologne doit beaucoup à leur chef, Michele Mariotti. Après une ouverture parfaitement construite et toute imprégnée de légèreté, d’humour même, sa direction musicale dynamique est propre à satisfaire les publics les plus exigeants. Celui du Théâtre des Champs-Élysées ne s’y trompe pas : il réserve un triomphe fort mérité à cette « savoureuse » Italienne à Alger.