Festival de Saint-Denis : collectif métissé dans la Basilique
2018 : Nelson Mandela naissait il y a 100 ans, Gandhi mourait il y a 70 ans. L'occasion de se remémorer les très nombreuses similitudes entre ces deux figures universelles de la liberté : chacun étant né dans une famille importante, formé à l'occidentale, d'une double culture, avocat, emprisonné (27 ans pour Mandela, 7 ans pour Gandhi), victorieux par la non-violence (le concept sud-africain ubuntu résonant avec le satyagraha indien). Le Mahatma Gandhi a d'ailleurs passé en Afrique du Sud 21 années, essentielles pour sa formation.
Le programme musical réuni sous l'intitulé "DURBAN MIX – Création Métis", fait cependant se succéder ici une suite d'opus disparates, dont certains n'ont qu'un lien très métaphorique avec ce thème hommage à Gandhi et Mandela.
Le concert, pourtant, s'ouvre et se referme de la plus belle des manières avec le chœur d'hommes des Mpumalanga White Birds, incarnation des influences multi-culturelles sud-africaines et représentant de la tradition Isicathamiya (du verbe zoulou cathama, "marcher doucement", ce que font les interprètes en chantant dans d'impressionnantes chorégraphies au ralenti qui se mixent vers de souplissimes déhanchements), mélangeant chorale chrétienne et Blackface Minstrels américains. Les interprètes entrent ainsi en chaussures et pantalons noirs, hauts blancs, tendant et agitant les mains avant d'entamer de souples chorégraphies mains ouvertes, sur le cœur, puis évidemment poing levé.
D'autant qu'ils ouvrent le concert avec Asimbonanga (« Nous ne l'avons pas vu »), célèbre chanson du groupe sud-africain Savuka (dirigé par Johnny Clegg) et datant de 1987 (durant l'apartheid et l'emprisonnement de Mandela). Une chanson à la symbolique surpuissante, rien que par le fait qu'elle marie littéralement l'anglais (des couplets) et le zoulou (du refrain).
La ferveur des White Birds, l'incarnation de la dignité rendue par un sourire, les sifflets, youyous et amples harmonies emplissent la Basilique de Saint-Denis et les cœurs du public qui les porte en triomphe. Ils reviendront naturellement refermer le concert, finissant en procession dans les travées.
Ce programme propose également des œuvres pour grand orchestre symphonique, l’Orchestre national d’Île-de-France (Ondif) qui intervient sur deux séquences séparées (ce qui nécessite une longue désinstallation puis réinstallation). Les musiciens interprètent tout d'abord la Johannesburg Festival Overture de William Walton, composée en 1956 pour les 70 ans de la fondation de la ville. Le chef Alpesh Chauhan (de parents tanzanien et kényane) dirige avec une insigne élégance cet enchaînement de petits motifs illustratifs et de rythmes allants, telle une bande-son cinématographique. Idem dans le caractère hollywoodien, il reviendra mener In the South d'Edward Elgar, s'ouvrant tel un mix entre Star Wars et le générique de la 20th Century Fox (tenant sa mosaïque de motifs, jusqu'au flou du final les combinant). Le lien entre Elgar et la thématique ne paraît qu'incidentel (représentant la musique des colons anglais ?), le programme écrit n'offrant que l'information suivante : « Dans les dernières années du XIXe siècle, Elgar compose régulièrement de la musique chorale et des pièces instrumentales qui lui apportent une certaine célébrité. »
Entre Walton et Elgar, le concert met à l'honneur des interprètes vocaux. D'abord un ténor et une soprano d'Afrique du Sud. Lukhanyo Moyake interprète l'Ingemisco du Requiem de Verdi en prenant le temps d'articuler (mais sachant avancer sur les transitions). Son long souffle (bien qu'un peu tendu dans l'émission à cause d'épaules hautes et légèrement en arrière) lui permet des décrochages vocaux contrôlés et surtout un aigu puissant. Alors que les montées dans l'aigu s'accompagnent traditionnellement d'un crescendo et d'une accélération du vibrato, Lukhanyo Moyake ralentit la vibration vocale, provoquant un effet rare et marquant. Le volume est bien audible (grâce à l'orchestre parfaitement mesuré).
La soprano Johanni van Oostrum vient alors, aussi radieuse, interpréter "Höre, Israël", de l'oratorio Elias (composé par Mendelssohn). La prononciation est claire, l'attitude intense et la volonté de projeter indéniable, mais elle se recule soudain sur les accents, et durant les phrasés, son ancrage glisse sur le souffle d'une voix mixte (entre l'accroche de la "voix de tête" et les résonateurs situés plus bas). Leurs énergies s'unissent toutefois dans un duo de sourire, "Tonight" de West Side Story (Bernstein), qu'ils entament et finissent les yeux dans les yeux. À ces artistes lyriques succède le groupe de Susheela Raman. Née en Angleterre, ce sont ses parents d'origine indienne qui la rattachent au programme, le contenu musical offrant une pop-soul easy listening pigmentée de vibraphone, percussion indienne, contrebasse et guitare acoustique (largement et rondement amplifiée).
Ce plateau généreux en thématiques et en artistes vient collectivement recevoir les applaudissements d'un public réjoui, rappelant la richesse du Festival de Saint-Denis et d'un territoire métissé.