Christianne Stotijn à La Monnaie, récital entre chants populaires européens et héritage opératique
Quelle clôture de saison ! Exit le romantisme classique du Lied, la mezzo-soprano se prête au jeu de la sagesse paysanne, en pleine série Bartokienne (Le Château de Barbe-Bleue & Le Mandarin Merveilleux est actuellement donné en diptyque in loco). Le compositeur hongrois est encore une fois à l’honneur, accompagné des Lieder de Johannes Brahms, des chants folks de Luciano Berio et d’Ottorino Respighi. Un savant voyage, des États-Unis à l’Azerbaïdjan, en passant par la Hongrie et l’Italie.
Accompagnée au piano par Joseph Breinl, mais aussi de l’Ensemble de musique de chambre de La Monnaie, Christianne Stotijn se livre dans une allégresse et une expressivité redoutable. Le répertoire se dessine de façon progressive, avec pour ouverture le traditionnel Lied allemand, d’apparence simple, mais d’une indéniable originalité.
En effet la ligne mélodique demande une déclamation singulière, à laquelle Christianne Stotijn répond d'une voix très étoffée et d’un souffle maîtrisé. Légèrement poussive mais narrative, la mezzo-soprano joue d’accélérations, d’aspirations et d’une diction allemande irréprochable. L’ineffable "Auf dem Kirchhofe" (Au cimetière) prend tout son sens, magnifié par les élans au clavier de Joseph Breinl et les emportements de la chanteuse.
Presque wagnérienne de voix et Raphaélite de visage, Christianne Stotijn figure les portraits de femmes de John William Waterhouse, empreintes d’une force romantique et d’un héritage opératique puissant. La voix chaude, la mezzo-soprano amorce le répertoire d’Ottorino Respighi, cosmopolite et inspiré de tradition populaire italienne, avec la mise en musique de poèmes d’Ada Negri. Les graves sont affirmés, portant des aigus tout aussi brillants, « Nebbie » (brumes) sonne comme une redécouverte, tragique et progressive.
Ce qui marque chez Christianne Stotijn, c’est l’aisance, le naturel de la voix, légèrement soufflée et pourtant chaude, riche et fine. Les dualités sont maîtrisées, offrant une palette d’expressivité complexe, nostalgique et très évocatrice. L’exercice du récital et le jeu schizophrénique des appropriations, les allées et venues de Christianne Stotijn parmi les chants traditionnels hongrois de Béla Bartók témoignent d’une force d’interprétation impressionnante. La maîtrise des langues européennes, la sémiotique et le jeu des intonations aboutissent à un succès dont chacun réalise progressivement la rareté du moment. Emprunte d’une marque opératique, Christianne Stotijn se pare de chants traditionnels avec la noblesse d’une voix cossue et exacte.
Toujours plus audacieuse, la mezzo-soprano s’attaque aux Folk songs de Luciano Berio, guidée par l’Ensemble de musique de chambre de La Monnaie. Les premières notes tombent et la magie opère avec « Black is the color », puis « Loosin yelav » en arménien. Rien n’arrête Christianne Stotijn, qui se laisse emporter par la puissance chromatique de chaque morceau. En allée et venue, elle ondule, menant par le chant l’ensemble des musiciens avec un naturel et une audace déconcertante.
Ôde à la liberté musicale, l’âme des textes chantés et à l’énergie de leurs interprètes, Christianne Stotijn offre à entendre les mystères des langues, la musicalité des dialectes avec passion et singularité.