Un feu d’artifice vocal illumine Ernani à Marseille
Déjà présentée à l’Opéra Royal de Wallonie et à celui de Monte-Carlo, mais avec un plateau artistique totalement différent, cette production d’Ernani de Verdi signée Jean-Louis Grinda pour la mise en scène remplit parfaitement son office. Le rideau s’ouvre sur une immense reproduction d’un des trois tableaux de Paolo Uccello représentant les épisodes de la fameuse Bataille de San Romano. Elle se transformera ensuite en un vaste miroir reflétant l’action en continu et la dédoublant. Quoiqu’un peu statique s’agissant des chœurs, cette approche qui ne vise pas la relecture met pleinement en valeur les interprètes et leur laisse une libre part d’interprétation sans les écraser sous un décorum trop excessif. Malgré un mouvement de grève affectant les lumières et une partie des accessoires, le spectacle se tient jusqu’au bout. Il convient en outre de souligner la richesse des costumes imaginés par Teresa Acone.
Sans revenir sur l’ouvrage en lui-même et sa genèse -retrouvez à ce propos notre dossier complet le concernant-, il faut insister sur le virage effectué alors par Giuseppe Verdi dans le cadre de sa première collaboration avec Francesco Maria Piave, son librettiste. Ils commettront au total dix opus ensemble, dont Macbeth et Rigoletto. Cinquième ouvrage lyrique du compositeur, Ernani impose une structuration désormais plus marquée, un découpage qui dégage des forces dramatiques nouvelles qui ne vont cesser de s’affirmer dans tous ses opéras ultérieurs. Les typologies vocales verdiennes se dessinent déjà avec netteté, pour s’enraciner plus durablement ensuite. Dans Ernani, les trois personnages masculins principaux se taillent la part du lion ! Le rôle d’Elvira, malgré la beauté de sa partie musicale, apparaît plus en retrait, encore dépendante de son milieu, avec un caractère infiniment moins prononcé ! Mais vocalement, la partie s’avère pour la soprano particulièrement ardue, car au cantabile le plus maîtrisé, elle doit déployer une virtuosité dramatique notamment dans son air fameux du premier acte "Ernani Involami" avec sa redoutable cabalette.
Hui He déploie dans ce rôle une sensibilité rare, une franchise parfaite de sa voix longue et fort généreuse, même si la cabalette évoquée la bouscule un peu. L’aigu domine avec aisance les ensembles pourtant imposants, le grave impose des couleurs pénétrantes. Certainement, cette prise de rôle est à marquer d’une pierre blanche au sein de sa belle carrière. Irrésistible par sa posture et sa générosité vocale, Francesco Meli campe le plus audacieux des Ernani. Beauté du timbre, celui d’un authentique ténor italien, souci constant de la ligne vocale, allègement lorsqu’il le faut, aigus à se damner, il possède un instrument qui se coule sans aucun problème dans le répertoire verdien de cette période.
Imposant au plan scénique, puissance expressive, longueur de la voix, la basse Alexander Vinogradov incarne un Don Ruy Gomez de Silva qui charrie le mal par tous les pores de la peau. Pris d’un malaise à l’entracte, l’artiste a tenu à assurer son rôle jusqu’au bout. Débarrassé d’une barbe bien encombrante et de sa perruque envahissante en seconde partie, et quoique visiblement affecté, il donne alors une remarquable leçon de chant avec des graves plus sonores encore, une intensité qui dénote une maîtrise parfaite de son instrument.
Impérial, rien de moins, Ludovic Tézier (qui nous parlait avec lyrisme de ce rôle en interview) soulève le public de l’Opéra de Marseille par l’autorité et la beauté constante de la ligne de chant : dès qu’il apparaît, la pulsation verdienne resplendit avec une richesse inouïe dans toutes les harmoniques, avec une morbidezza totalement adaptée au propos, mais aussi une expressivité plus mesurée notamment lorsqu’il entre dans le tombeau de Charlemagne pour en ressortir Empereur avec la couronne légendaire.
Les seconds rôles, -Christophe Berry Riccardo très présent, Antoine Garcin, Jago et Anne-Marguerite Werster, Giovanna-, complètent avec talent le plateau vocal. Puissamment lyrique, exploitant au mieux les ressources de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Marseille, mais aussi pleine de passion voire exacerbée, la direction musicale de Lawrence Foster porte l’ensemble avec un enthousiasme affiché.