Don Pasquale : una buona Sierra à Garnier
Un vieux barbon qui empêche les amours d’un jeune couple, un intrigant rusé qui parvient à le faire céder : ce Don Pasquale a des traits de Barbier de Séville jusque dans ses caractéristiques musicales, bien qu’il soit composé 30 ans plus tard. Pas étonnant, donc, de retrouver Damiano Michieletto, Evelino Pïdo, Florian Sempey, Lawrence Brownlee et Michele Pertusi, tous grands spécialistes de Rossini, dans cette coproduction avec Londres et Palerme. Cependant, Donizetti transforme le genre en y ajoutant un ingrédient : la mise à nu de l’humanité de la basse-bouffe, auquel il attribue le rôle-titre. C’est de lui que tous se moquent et la « fin heureuse » repose sur sa défaite. Pourtant, c’est bien le plus attachant des quatre personnages, le plus vrai : loin des avares suspicieux souvent dépeints, il propose d’emblée sa fortune à Ernesto et accorde sa confiance absolue à son médecin, Malatesta.
Michieletto appuie sur cette nouveauté en présentant Malatesta comme le méchant de l’opus, le manipulateur doté d’ailleurs d’un nom évocateur pour un médecin. Ce dernier fait jouer la comédie à Norina (avec qui il entretient un rapport ambigu), d’abord devant un écran vert de cinéma (permettant des incrustations d’image. Elle côtoie ainsi dans l’une d’elle Damiano Michieletto dans la salle de Garnier, programme de salle de la production en main), puis face à Don Pasquale : la jeune femme s’acquitte de sa tâche avec détachement et coquetterie, dans un cas comme dans l’autre. À l’inverse, un œil attendri est porté sur Don Pasquale, qui cherche le réconfort dans le souvenir des câlins de sa mère après avoir été giflé (moment marqué par un brusque changement de lumière, imaginé par Alessandro Carlettti), et se voit remiser dans un EHPAD glauque après avoir béni le mariage des jeunes amoureux et leur avoir accordé une rente. Avant cela, son univers, sombre et vieillot, avait déjà totalement disparu pour laisser place à la lumineuse modernité des amants. Cette lecture douce-amère laisse dès lors peu de place à la fantaisie, mais arrache un moment de poésie par l’utilisation de marionnettes.
Le livret enchaîne jusqu’au dernier tableau les scènes d’intérieur. En charge du décor, Paolo Fantin joue sur les codes en abattant les cloisons de ces intérieurs : seules les portes et un toit de néons définissent les espaces de la maison de Don Pasquale, qui tourne afin que l’action puisse se déplacer de pièce en pièce. Ce décor nu, esthétique, n’est cependant pas très valorisant pour les voix, qui ne trouvent aucun support pour se réverbérer. Aussi, dès que le son n’est pas projeté vers la salle, il tend à se perdre en coulisse. Pourtant, le jeu théâtral des chanteurs montre l’attention portée par le metteur en scène à la direction d’acteurs, et à son adéquation à la partition : chaque note est illustrée par un geste, chaque geste est justifié par la partition.
La mutine Nadine Sierra montre l’adaptation de son instrument et de sa technique à ce répertoire qu’elle découvre pourtant. Sa voix agile parcourt les vocalises avec une apparente facilité, notamment grâce à des aigus fins et bien projetés. Son timbre fruité aux nombreuses colorations se pare d’un éclat moiré lorsqu’elle accentue sa couverture vocale. Michele Pertusi croque un Don Pasquale touchant, autant par ses défauts (notamment sa vanité qui le conduit à teindre ses cheveux blancs en brun avant de recevoir Sofronia) que par son grand cœur. Cette performance théâtrale s'explique notamment par son art du mime et sa science de la mimique. Sa voix solide se fait suave lorsqu’il imagine sa vengeance, percussive lorsqu’il enrage ou piquée lorsqu’il s’auto-congratule.
Florian Sempey trouve un rôle peu éloigné du Figaro dans les habits duquel il fréquente les plus grandes scènes mondiales. Sa voix souple s’épanouit dans le medium, structuré et bien timbré, mais tend à s’engorger dans le grave. Il s’appuie sur une belle diction qui sert un jeu théâtral expressif : dans son duo avec Pertusi, il démontre une grande capacité de célérité dans la prononciation, ainsi qu’une grande rigueur rythmique. Lawrence Brownlee est un Ernesto aux aigus clairs, exaltés en voix pleine et doux en voix mixte. Le timbre est riche et chaud, notamment dans le médium, et le legato soigné. Dans les graves, le timbre est corsé et agréable. Son léger vibrato tient un rythme contenu et régulier. Son phrasé montre le plus souvent sa vaillance, mais il sait se faire délicat dans son duo avec Nadine Sierra.
Evelino Pido dirige l’Orchestre de l’Opéra de Paris avec une grande énergie qu’il communique aux musiciens. Il les encourage presque physiquement à accentuer une note ou à en alléger une autre, affichant un sourire radieux lorsqu’un brusque rallentando (ralentissement du tempo) produit l’effet recherché. Après une ouverture puissamment menée, la première scène semble toutefois manquer de souffle. Il veille en revanche attentivement à la synchronisation scène-fosse et règle des ensembles parfaitement en place rythmiquement.