L'Heure espagnole/Gianni Schicchi, diptyque fantasque et réjouissant à Bastille
Le temps est l'un des thèmes communs aux deux opéras montés en diptyque en 2004 au Palais Garnier, repris cette saison à l'Opéra Bastille. Dans L'Heure espagnole de Ravel, la séduisante Concepcion entend mettre à profit l'absence de son époux, l'horloger Torquemada, pour s'accorder une aventure. Mais le temps file et elle peine à trouver lequel du poète Gonzalve, du muletier Ramiro ou du financier Don Iñigo Gomez lui permettra de mener à bien son projet avant le retour de son époux. Dans Gianni Schicchi de Puccini, les proches de Buoso Donati apprennent à sa mort qu'il a légué tous ses biens au clergé. Aidés du fourbe et rusé Gianni Schicchi, ils décident de retarder l'annonce de la mort pour se donner le temps de modifier le testament.
La
mise en scène de Laurent Pelly place les deux opéras dans deux
espaces différents (décors de Florence Evrard et Caroline Ginet,
lumières de Joël Adam), mais qui relèvent du même univers
poétique et fantasque. L'Espagne de Ravel et l'Italie de Puccini
sont caractérisées par un même débordement de meubles et
d'objets, en hauteur pour la première, en profondeur pour la
seconde. L'ensemble donne une impression de désordre savamment
ordonné, qu'il s'agite en musique ou forme un panorama rappelant la
belle Florence. Des jeux de scène se font aussi écho d'une œuvre à
l'autre. Les horloges qui tiennent lieu de placards aux amants de
Concepcion ont des airs de cercueil, comme le remarque Gonzalve, et
c'est précisément dans l'une d'elles que les proches de Buoso Donati
dissimulent son cadavre. Plus d'un effet théâtral correspond à un
effet musical dans un spectacle dont la cohérence tient aussi au jeu
des chanteurs, d'une précision remarquable. Les tableaux de groupe,
en particulier, sont très réussis et Laurent Pelly témoigne une
fois de plus de sa capacité à faire exister chaque personnage tout
en préservant une dynamique d'ensemble.
La distribution ne connaît que peu de changements par rapport à la première série de représentations, dont il a déjà été rendu compte sur Ôlyrix. Seul le couple de Concepcion et de Ramiro, dans L'Heure espagnole, est confié à de nouveaux interprètes. La première est interprétée par la mezzo-soprano Michèle Losier, qui lui apporte son talent de comédienne et son joli timbre doré. La chanteuse n'hésite pas à glisser par moments vers la voix parlée : le jeu prime alors sur la beauté du chant, tandis que la musique met en relief les effets comiques. Ramiro trouve aussi un interprète de choix en Thomas Dolié, baryton qui séduit par sa voix bien projetée, aux graves soutenus et lumineux. Aussi à l'aise dans le chant que dans la manipulation des imposantes horloges de Concepcion, il joue le gentil muletier, un peu benêt, avec un rien de distance qui rend son personnage d'autant plus sympathique. Les autres chanteurs de la distribution ne sont pas en reste. Gonzalve sonore aux belles envolées lyriques, le ténor Stanislas de Barbeyrac est désopilant en poète hâbleur, ridicule, au déhanché évoquant une parodie de John Travolta. Le Torquemada de l'autre ténor, Philippe Talbot, à la voix déliée, est peut-être plus redoutable commerçant que cocu ridicule. Don Iñigo Gomez, enfin, amant entreprenant interprété par la basse Nicolas Courjal, donne lui aussi de la voix avec une énergie qui contraste avec son évidente impuissance. L'ensemble des interprètes, grâce à une prononciation précise du texte français, offre le plaisir de suivre le spectacle en se concentrant sur la scène, sans prêter attention aux sur-titres.
La
distribution de Gianni Schicchi
est inchangée. Le baryton Artur Ruciński
campe un Gianni Schicchi délectable. Son travestissement vocal est
très réussi quand il adopte une voix nasillarde pour prendre la
place du défunt. Le ténor Vittorio Grigolo et la soprano Elsa Dreisig sont joliment assortis en Rinuccio et Lauretta : le
couple rayonne et enchante un public qui l'applaudit avec
enthousiasme. Mais ce sont tous les chanteurs qui pourraient être
salués pour l'interprétation si savoureuse qu'ils proposent de
chacun des personnages.
Dans la fosse, à la tête de l'Orchestre national de l'Opéra de Paris, le chef Maxime Pascal témoigne d'un sens aigu des situations dramatiques : la belle coordination entre scène et fosse, qui préserve et met en valeur la cohérence du spectacle, doit beaucoup à sa direction attentive et précise.
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