Un Requiem de Verdi mémorable à la Philharmonie de Paris
Accueilli chaleureusement lors de son entrée sur scène, Riccardo Chailly ne déçoit pas les attentes du public de la Philharmonie de Paris, venu nombreux l’écouter diriger le Requiem (1874) de Giuseppe Verdi avec l'Orchestre de la Scala de Milan qui ne s’était pas produit dans la capitale française depuis longtemps avec son chœur. Le chef d’orchestre italien, Directeur de la célèbre phalange depuis 2015, s’est en effet imposé comme le maître d’œuvre d’une interprétation mémorable du célèbre ouvrage de Verdi, pourtant joué ou enregistré par les plus grands. Dès les premières mesures, Chailly offre une lecture dramatique, mais aussi raffinée et mesurée de cet « opéra en habit ecclésiastique », comme l’avait ironiquement intitulé Hans von Bülow. Le chef italien obtient de son orchestre des dynamiques d’une variété insoupçonnée et veille à l’équilibre des pupitres et des plans sonores pourtant difficiles à obtenir dans une salle dont l’acoustique reste parfois déconcertante (on s’interroge sur le temps de réverbération de certains épisodes). Mais Chailly atteint des sommets, car il dispose de musiciens talentueux et réactifs, notamment un pupitre de violoncelles qu’il a tenu à faire saluer à la fin du concert tant leur interprétation des premières mesures du « Domine » étaient saisissantes de beauté. Mais les autres instrumentistes ne déméritent pas et il est bien difficile de trancher entre le soyeux des violons, la rondeur des cuivres et la clarté des bois où se distingue un beau quatuor de bassons.
Chailly dispose par ailleurs d’un atout considérable avec l’excellent chœur de son théâtre. Préparée par Bruno Casoni, la formation milanaise est constituée de pupitres d’une homogénéité et d’une justesse d’intonation remarquables. La qualité de l’élocution mérite aussi d’être soulignée tant elle sert la dramaturgie du texte, sans verser, en accord avec la lecture du chef, dans un excès de pathos. Que ce soit dans les épisodes a cappella ou d’autres plus véhéments, soutenus par toutes les forces de l’orchestre (« Dies irae »), le chœur de la Scala offre une qualité musicale à la hauteur de la réputation de ce théâtre légendaire, alternant sans aucune difficulté des sotto voce (mi-voix) susurrés, éthérés, voire parlés et des fortissimi fracassants (« Rex tremendae ») ou d’une belle plénitude sonore (« Sanctus »), le public lui réserve d’ailleurs une ovation méritée lorsque Chailly le fait se lever à la fin du concert.
Les quatre solistes se sont incontestablement pliés à la lecture du chef d’orchestre italien qui veille sur eux comme le lait sur le feu. Aucun d’entre eux ne cherche à faire briller son talent au détriment des autres dans une partition pourtant dotée d’airs ou d’épisodes qui, indéniablement, les valorisent. Cette direction a peut-être gêné le ténor américain René Barbera dont la beauté du timbre et des aigus ne parvient à suppléer un engagement un peu terne, notamment dans l’« Ingemisco » où il reste en retrait. En revanche, Ekaterina Gubanova et Tamara Wilson forment un duo convaincant. Cette communion musicale et vocale est particulièrement réussie et émouvante dans l’« Agnus dei », les deux femmes restant attentives l’une à l’autre lorsqu’elles chantent ensemble. La jeune soprano américaine retient sa voix avec habileté, ose des tenues pianissimo dans l’aigu, parfois périlleuses, mais d’une incontestable poésie. Elle sait en outre se montrer plus présente et engagée dans ses parties solistes, notamment dans le « Libera me » conclusif. La mezzo russe domine cependant ses autres partenaires par son autorité naturelle, la noblesse de son chant et la beauté de la ligne vocale : voici une artiste en pleine possession de ses moyens. L’incarnation de Ferruccio Furlanetto est, quant à elle, bouleversante d’intensité par son sens du verbe et de la déclamation, notamment dans un glacial « Mors stupebit ». La basse italiennelivre une leçon d’interprétation. La voix a, certes, perdu en rondeur et souffre désormais d’un vibrato dans les aigus, mais elle reste dotée de graves abyssaux et parfois terrifiants.
Au terme d’une soirée inoubliable, beaucoup aspiraient au retour à Paris de Riccardo Chailly et de sa célèbre formation dans les années à venir.