Cendrillon scintille au Metropolitan
Le texte, rien que le texte. Celui de l’opéra de Massenet bien entendu, mais également celui du conte de Perrault, utilisé pour les besoins de la mise en scène. L’incipit sert à introduire le premier acte, les passages sur la pauvre chambrette de Cendrillon tapissent le mur de ladite chambre, les objets eux-mêmes sont couverts de lettres.
Disposées les unes à côté des autres, des chaises forment les mots « Prince Charmant ». La charpente du « carrosse » épelle ce même mot. Il est tiré par des hommes-chevaux, dont les corps humains piaffent et les têtes sont recouvertes de masques de chevaux à la belle crinière blanche. La chasse aux papillons féerique voit les étoiles briller comme des lucioles, scintillant et ondulant presque au rythme de l’orchestre.
Les chorégraphies minutieuses de Laura Scozzi émerveillent ou provoquent l’hilarité générale du public lorsque les prétendantes arrivent au bal ou s’évertuent à enfiler la fameuse pantoufle. Galerie grotesque, elles chaloupent, sautillent ou ondulent dans des costumes distincts à dominante rouge imaginés par Laurent Pelly tous plus originaux les uns que les autres : robe-ballon, robe à queue de poisson, robe à volants tellement serrés sur les jambes que la prétendante n’a d’autre choix que de s’avancer à pieds joints vers la pantoufle. Les deux cruelles filles de Madame de la Haltière ne sont pas en reste et se couvrent de ridicule dès le premier acte dans des robes verte et rose, ballons de baudruche agrémentés d’un petit nœud.
Seule silhouette gracieuse à l’exception de la fée et de ses elfes, Joyce DiDonato, en robe de bal ou de ménage, remporte tous les suffrages. Il y a suffisamment de vibratos dans son « Reste au foyer, petit grillon » pour émouvoir, un dosage de trilles adéquat, un « papillon » auditif tant la voix sonne comme un battement d’ailes, même si elle semble parfois très légèrement voilée dans les aigus. La diction du français reste impeccable jusqu’à la fin et le jeu de scène de la soprano expressif à souhait dans l’éclat ou l’ombre qui passent sur son visage. Ses duos avec l’excellente mezzo-soprano Alice Coote, travestie en Prince Charmant, sont une alliance d’aigus tour à tour tendres et chaleureux.
Ce Prince charme par ailleurs par la puissance ou la douceur du timbre. Tantôt fine, tantôt forte, la projection d’Alice Coote est mesurée en fonction des sentiments successifs du personnage, mélancolique ou passionné, et le jeu de scène de la mezzo-soprano est irréprochable, témoin d’une direction d’acteurs minutieuse.
Adjuvant féerique, la marraine de la soprano Kathleen Kim ne chante pas seulement, mais tinte littéralement. Elle enrichit ses aigus de superbes vibratos et caractérise la magie de son personnage en ensorcelant l’auditoire, déroulant une cascade qui s’étend des aigus aux graves dans un français parfait.
Sans conteste la reine du jour, Stephanie Blythe est un bijou de mauvaise foi et de méchanceté en Madame de la Haltière truculente. Sorte de croisement entre le conte de Perrault et la Reine de Cœur de Lewis Carroll, son débit est d’une fluidité et d’une rapidité insensées. C’est une explosion d’aigus tonitruants, de graves impétueux et colériques, une puissance de projection qui suscite très légitimement les ovations et les exclamations du public à chaque apparition. Chapeau bas, donc, devant cette formidable mégère que le public adore détester.
Changement radical de personnage du jour au lendemain pour Laurent Naouri, qui, la veille dans cette même maison, était un superbe Capulet et se retrouve maintenant en Pandolfe. Le jeu d’acteur est maîtrisé par le baryton-basse qui campe à merveille le personnage falot et écrasé par son exécrable femme, sachant par ses mimiques porter l’effet comique et l’ironie de l’air « Du côté de la barbe est la toute-puissance ». Ses lamentations régulières le font monter dans des aigus très stables, colériques sur la fin de l’air, et épouvantés à l’arrivée de Madame.
Les filles de Madame de la Haltière, la soprano Ying Fang et la mezzo-soprano Maya Lahyani, sont une Noémie et une Dorothée très convaincantes elles aussi par leur jeu de scène et leurs voix. En dignes héritières de leur mère, l’articulation de chacune est exemplaire et les aigus crissent à l’envi, adaptés aux personnages de péronnelles.
David Leigh, maître de cérémonie, est aussi grand par la taille que par la projection puissante de sa voix de basse. L’effet comique est renforcé par le contraste entre sa haute stature et le personnage virevoltant qu’il incarne.
Le Chœur du Metropolitan Opera apporte lui aussi la touche féérique nécessaire en insufflant la juste dose de douceur aux elfes qui entourent la fée-marraine, touche féérique apportée tout autant par l’Orchestre du Metropolitan et la baguette de Bertrand de Billy. Le violoncelle tendre accompagne le Prince Charmant, l’orchestre tinte lorsque l’unique pantoufle est cachée par Cendrillon dans un placard côté cour. Bassons et cuivres communiquent l’angoisse de l’arrivée de minuit par des sonorités presque aigres.
Les applaudissements et ovations du public valident la phrase finale du plateau vocal : « La pièce est terminée, on a fait de son mieux, pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ».