À l’Arsenal de Metz, mythique Orient antique, sublime musique moderne
« Héros et mythes de l’Orient ancien », titre choisi pour le programme, tient ses promesses. Le public construit mentalement sa carte personnelle de l’Orient au fur et à mesure des pérégrinations des instruments et des voix. Selon la musique, viennent à l’esprit Palmyre, l’Andalousie mauresque ou l’Égypte, Persépolis ou Byblos, multiplicité de trésors.
Les compositions de Zad Moultaka allient écriture occidentale et particularités de la musique orientale. Le programme débute par Anath, composé en 2015. Suivent Neb Ankh et Antar, composées en 2017, entre lesquelles s’intercale l’oud magique de Qaïs Saadi.
Anath, déesse guerrière, descend dans les Enfers pour tenter de libérer son frère Baal, dieu du tonnerre entre autres attributs. Sa voix est ici portée par la basse Andreas Fischer. Les instruments se livrent d’abord à une introduction quasi-incantatoire et minimaliste, oscillant entre « fa » et « la ». La partition bouleverse les caractéristiques et usages des instruments. Les cuivres sont aquatiques. Le bois de la contrebasse ou de la harpe est un matériau de percussion, l’archet de la contrebasse frappe le chevalet plus qu’il ne le frotte, l’ensemble créant une résonance amplifiée par l’acoustique de la Salle de l’Esplanade.
Du son organique de départ surgissent des stridences cuivrées, fanfare orientale puis angoissant ostinato « mi fa » qui rappelle John Williams dans une autre composition mordante. D’une grande plaque d’aluminium sur laquelle le percussionniste Alain Huteau semble dessiner, s’échappent ensuite des sons sourds qui précèdent une gamme descendante de la trompette.
La ligne mélodique suit le cheminement de la voix, devient plus longue, se calque sur celle d’Andreas Fischer. Comme Anath descend aux Enfers, Andreas Fischer va puiser dans les profondeurs de son coffre ses graves qui égrènent, dans une langue imaginaire, un texte incantatoire. Les longs silences donnent encore plus d’ampleur à ces graves vertigineux. Comme un élastique, la voix s’étire et la basse part vers les aigus, remarquablement sonores et stables pour une telle tessiture. L’imaginaire textuel sonne par moments comme de l’araméen ou de l’arabe, et Andreas Fischer traduit ces nuances avec une telle assurance qu’il semble avoir la clé de cette langue imaginaire. Si l’auditeur ferme les yeux, il suit les pérégrinations d’Anath aux Enfers ou se transporte à Palmyre devant le temple de Baal-Shamin.
Neb Ankh entraîne ensuite le public de la Syrie vers l’Égypte. Une bande enregistrée accompagne une princesse égyptienne dans un voyage vers l’au-delà. À bord du sarcophage sonore, il y a des ustensiles de cuisine, des sons actuels, une mélodie brève qui rappelle les chansons de la grande Fairouz. La composition se passe donc d’instruments, ou plutôt, utilise à plein rendement le trésor vocal de la soprano Amel Brahim-Djelloul.
La technicité vocale est périlleuse, mais la soprano la conquiert. Sa bouche fermée réprime des aigus qui finissent par s’échapper, purs et étincelants, d’autant plus marquants que sa ligne mélodique lui fait alterner constamment bouche fermée et ouverte. Le travail de respiration est impressionnant, le son s’arrête net sur la dernière expiration. Lorsqu’ils jaillissent, les aigus sont ornés de mélismes, de « r » longuement roulés, avant de céder la place à des graves dont la portée est amplifiée par une langue qui claque et des sons de gorge qui sonnent comme le son de la lettre hébraïque et arabe « ‘ayn ».
Sans voix ni autre instrument pour l’accompagner, Qaïs Saadi emporte ensuite le public vers l’Andalousie arabe. De la table d’harmonie de l’oud, ornée de rosaces qui rappellent des moucharabiehs, éclosent de délicats vibratos qui décorent la ligne mélodique envoûtante pour un voyage vers l’Alhambra de Grenade.
Antar clôt le concert. Du nom d’un poète préislamique qui avait fait crever les yeux d’un ennemi, (ce dernier apprenant à tirer à l’arc avec le son pour seul guide), la composition débute par la répétition du nom « Antar » qu’Andreas Fischer module.
D’abord solennel, convoquant Antar ennemi, ses graves deviennent un aigu cri d’effroi, avant de prendre une tonalité martiale. Le nom, d’abord sourd, s’amplifie avant de s’éteindre, laissant Andreas Fischer marteler une plaque de bois qui évoque une cavalcade qui s’éloigne.
Les aigus d’Amel Brahim-Djelloul parés de sublimes vibratos, poursuivent la narration et leur intonation montante part à la recherche du même Antar. Andreas Fischer démontre à nouveau l’ampleur de sa tessiture, accompagné par la guitare et la contrebasse. Elle aussi convoquée dans ses cordes les plus aigues, son « la » harmonique est repris par la trompette, à laquelle Andreas Fischer vient s’ajouter pour les derniers accords d’un concert envoûtant, magique et captivant !