La Fille du Tambour-Major clôt la saison de l’Odéon de Marseille
Le Théâtre municipal de l’Odéon, qui est rattaché à l’Opéra de Marseille, se positionne comme le fer de lance de l’opérette française. La maison phocéenne programme pour conclure sa saison La Fille du Tambour-Major d’Offenbach. Ce titre, qui fait référence à La Fille du Régiment de Donizetti dont il reprend les ressorts dramatiques, est rarement donné, la faute aux quelques faiblesses d’un livret touffu aux nombreuses longueurs. L’œuvre est toutefois passée à la postérité grâce à ses airs souvent repris en concert, au premier rang desquels « Je suis mamz'elle de Monthabor, la fille du tambour-major ! ».
Cette production de Jack Gervais est mise en scène avec une grande économie de moyens : pour chaque tableau, des paravents peints ou des rideaux teints dessinent les lieux. Les costumes sont soignés et esthétiques et les lumières sans fard. La taille du plateau limite les déplacements dès lors que le chœur est présent, même si une gracieuse danseuse parvient à tournoyer avec son tambourin au troisième acte.
Les quatre rôles principaux sont confiés à des chanteurs sûrs. Le rôle-titre est tenu par la mutine Jennifer Michel dont le timbre de voix moiré est rondement vibré. Ses aigus sont éclatants et les volutes de sa voix épaisse et colorée transpercent le chœur et les cœurs. Son amant, le Colonel Robert est campé avec une rigueur militaire par Marc Scoffoni. Sa voix claire et puissante est dotée d’un beau timbre large et brillant (y compris dans ses aigus en voix mixte) et portée par un long souffle qu’il maîtrise à merveille. Malgré le soin apporté à la prosodie, le texte n’est pas toujours compréhensible, les voyelles étant largement ouvertes pour favoriser la résonance.
Kevin Amiel est le maladroit mais attachant Griolet. Son timbre profond s’éclaire dans des aigus toujours très bien émis. La ligne vocale est maîtrisée et nuancée (avec un beau messa di vocce -c'est-à-dire une variation de nuance sur une même note tenue- dans le final de son premier air), jusqu’à de légers déraillements intentionnels venant trahir l’émotion du personnage, qui fonctionne très bien face au jeu affirmé de Caroline Géa en Claudine. La voix concentrée au timbre boisé de cette dernière se tend parfois sans pour autant gâcher sa prestation.
Les autres rôles (à l’exception de Gilen Goicoechea dont la belle voix large soutient une diction soignée du français) mettent mieux en avant leurs talents de comédiens que leurs capacités vocales, le timbre et le placement des voix, mais aussi la justesse et le calage rythmique faisant défaut. Danièle Dinant en Duchesse joue du tiraillement de sa voix pour accentuer le ridicule de son personnage, auquel elle prodigue une joyeuse folie. Philippe Fargue se montre parfaitement touchant dans la scène des retrouvailles avec sa fille, croquant un Monthabor bonhomme et drôle (avec son accent marseillais sous son frac de moine). Jean-Claude Calon est un Duc della Volta à la démarche et au phrasé travaillés pour faire de son personnage un parfait méchant que l’on aime détester. En Marquis Bambini, Claude Delfaud se montre à la fois précieux et extraverti, dans un cocktail euphorique qui ramène lui aussi les rires du public.
Guy Condette tire de l’Orchestre de l’Odéon des sonorités chaudes et moelleuses. Mais cette moite chaleur, qui imprègne la salle, finit par faire fondre l’enthousiasme festif et facétieux propre à Offenbach, la faute à des nuances peu prononcées. Du coup, les chuchotements du public (et les sonneries téléphoniques) mettent du temps à s’éteindre après que la salle ait été plongée dans le noir. Le Chœur Phocéen se montre homogène et bien en place. Dans les pas de Jennifer Michel et des autres solistes, il reprend au moment des saluts le « tube » de l’opéra un nombre incalculable de fois, descendant même parmi les spectateurs ravis avec ses drapeaux français.