Athénée saison 2018-2019 : féerie souveraine
Confirmant son statut de place forte musicale parisienne, l'Athénée ouvrira sa prochaine saison par un Festival Purcell, avec deux reines et un roi. Didon et Énée seront incarnés par Chantal Santon Jeffery et Yoann Dubruque, dans une mise en scène de Benoît Bénichou avec l’Ensemble Diderot dirigé du violon par Johannes Pramsohler pour porter le terrible lamento de la reine Carthaginoise. Viendra ensuite le King Arthur, et pour prolonger le catalogue du maître anglais, l'opéra imaginaire Queen Mary qui "suit la trame des œuvres de la maturité de Purcell, passant du récit épique ou humoristique (en français) au chant, pour raconter une histoire musicale et lyrique de la cour d’Angleterre" : ces deux opus étant présentés dans la vision de Sybrand Van Der Werf avec l’Ensemble BarokOpera Amsterdam sous la baguette de Frédérique Chauvet. L'organisation de ce triptyque est la même que la trilogie des éléments (dont nous vous avons rendu compte en feuilleton) : les trois spectacles étant donnés chacun quatre ou cinq soirs de suite, sur trois semaines.
L'autre Festival de la saison est celui du Balcon, Ensemble en résidence in loco et désormais bien connu de nos lecteurs. Dans un programme empli d'imprévu, sont déjà annoncés Jakob Lenz de Wolfgang Rihm (opéra de chambre d’après Büchner sur un poète maudit), Le Combat de Tancrède et de Clorinde (1624) signé Monteverdi, mais aussi une Projection-goûter-rencontre, une Soirée des enfants, La Métamorphose de Kafka version opéra de Michaël Levinas et Bhakti (1982) du Britannique Jonathan Harvey "combinant recherche de transcendance, technologies sophistiquées et pourtant parfaitement humanisées pour ensemble de quinze instrumentistes et bande quadraphonique ou cd-rom".
La féerie se prolongera avec la redécouverte d'un opéra méconnu de Haendel, par Les Paladins de Jérôme Correas et le metteur en scène Bernard Levy : Amadigi. "Sorcière, vengeances, complots, combats singuliers, ténébreux esprits et fontaine de l’amour véritable" seront investis par Amel Brahim-Djelloul, Aurélia Legay, Rodrigo Ferreira ou encore Séraphine Cotrez.
Adapté du célèbre conte "Le Joueur de flûte", l'opéra en 2 actes pour soprano, contralto et ensemble de 15 musiciens Into the Little Hill composé par George Benjamin viendra charmer les hommes (et les rats hors de la ville), dirigé par Alphonse Cemin (un pilier du Balcon) avec l’Ensemble Carabanchel dans une mise en scène de Jacques Osinski. Dans un autre registre lyrique, celui de l'opéra-comique : The Importance of Being Earnest (L'Importance d'être Constant) composé d’après Oscar Wilde par Gerald Barry en 2013 et porté ici, dans une mise en scène de Julien Chavaz, par l’Orchestre de Chambre Fribourgeois et Jérôme Kuhn.
Opéra encore, forme hybride toujours : Vous qui savez ce qu’est l’amour, traduction française de l'air interprété par Chérubin (Voi che sapete) proposera une réinvention des Noces de Figaro de Mozart, mise en scène par Benjamin Prins, écrit, chanté, dansé et joué par Romie Estèves avec la guitare de Jérémy Peret pour tout orchestre.
L'Athénée se fait aussi une belle réputation parmi les passionnés d'opérettes. Après Les Chevaliers de la Table ronde et Les P'tites Michu, l'institution proposera Azor (surnom emprunté par le policier poète Gaston à son chien), une opérette en 3 actes composée par Gaston Gabaroche, Pierre Chagnon et Fred Pearly sur un livret d'Albert Willemetz, Max Eddy et Raoul Praxy, créée en 1932 aux Bouffes Parisiens. Elle sera ici mise en scène par Stéphan Druet, dirigée et arrangée par Emmanuel Bex. Il y aura même une double ration d'opérettes, avec Le Testament de la tante Caroline (seul opus du genre dans le catalogue d’Albert Roussel) se moquant bien sûr des bassesses lorsque vient le temps du partage de l'héritage. Les interprètes (Marie Lenormand, Lucille Komites, Marion Gomar, Marie Perbost, Fabien Hyon, Olivier Déjean, Romain Dayez, Aurélien Gasse) seront dirigés par Dylan Corley avec l’Orchestre des Frivolités Parisiennes dans une mise en scène de Pascal Neyron.
Autre marqueur des saisons de l'Athénée et même de l'histoire lyrique : les lundis musicaux poursuivent leur grand retour (après la première série légendaire de 1977 à 1989, ils ont été ressuscités en 2014). Les noms des interprètes seront officiellement annoncés très prochainement, mais il faudrait plutôt écrire annoncées : pleinement dans la thématique des reines et souveraines, les lundis musicaux se conjugueront au féminin avec de très belles étoiles montantes repérées très tôt et très souvent sur nos pages (artistes qui se sont notamment affirmées pour revendiquer leur féminité même dans des rôles de "princesse" et défendre des spectacles affirmant le pouvoir de la femme, même dans des sociétés animales).
Un mois avant son décès, l'Athénée rendait un hommage anthume à Pierre Henry la saison dernière en présentant Dracula. En 2018, il s'agira de rendre un nouvel hommage au compositeur pionnier de la musique électroacoustique, avec les 50 ans de sa pièce Apocalypse de Jean, oratorio électronique,"son œuvre fétiche, la plus souvent donnée en concert, qu’on peut entendre comme un manifeste, une ‘défense et illustration’ des pouvoirs de la musique concrète".
Sculpture en direct, performance dramatique, littérature et bien entendu musique (par David Chaillou, que nous avons interviewé), tel est le programme de Léger au front d’après la correspondance de guerre de Fernand Léger (1914-1917), sur un peintre qui se fait écrivain des tranchées.
L'Athénée est aussi une salle de théâtre, présentant la saison prochaine Ivanov, l’avant-dernière étape dans l'intégrale Tchekhov entreprise par Christian Benedetti, puis Antigone d'après Sophocle et Brecht par un groupe cabaret-punk ukrainien, ainsi que Sei personaggi in cerca d’autore (Six personnages en quête d'auteur, 1921) de Luigi Pirandello, mise en scène Luca De Fusco. Dans cette pièce, le directeur du théâtre se désole mais ce n’est pas sa faute : "Que voulez-vous que j’y fasse, explique-t-il, si de France il ne nous arrive plus une seule bonne pièce". Ce n'est assurément pas le cas à l'Athénée !