Diana Damrau et Nicolas Testé, VERDIssimo à Baden-Baden
Avec un programme consacré aux grands airs ou ouvertures verdiens, la délectation du public ne peut être que permanente. La Traviata, Macbeth, Otello ou Don Carlo, entre autres, sont réunis sous la baguette d’Ivan Repušić qui dirige le lumineux Orchestre de la Radio de Munich (Münchner Rundfunkorchester) et débute le concert par la célébrissime ouverture de Nabucco, plongeant le public dans un ravissement absolu. Après les premières mesures temporisées, l’attaque des cuivres et des cordes est bouillonnante comme il se doit et les applaudissements nourris. Nicolas Testé et sa femme Diana Damrau alternent ensuite airs et duos.
Le baryton-basse débute le récital avec Fiesco et Simon Boccanegra, "A te l’estremo addio" (Pour la dernière fois adieu). La gestuelle convient au personnage fou de chagrin puis repentant. Jusqu’à la dernière phrase ("Prega per me", Prie pour moi) sur laquelle les graves les plus profonds sont tenus, la diction est excellente, l’ambitus large et la projection solide.
En Ferrando, "Di due figli vivea padre beato" (Le bon comte Luna vivait heureux avec deux fils) du Trouvère, il narre avec légèreté ou gravité selon les passages l’histoire de la sorcière et outrepasse la difficulté rythmique de l’air. Pour Macbeth, c’est l’air "Studia il passo, o mio figlio" (Ralentis le pas, mon fils) de Banco qui est choisi. Les vibratos adoucissent presque la « terreur » et les « ténèbres » du texte. Caverneux quand il le faut, puissant et passionné lorsqu’il exprime le désespoir régalien, il est un Philippe II convaincant sur l’air "Ella giammai m’amò" (Elle ne m’a jamais aimé) de Don Carlo.
Élégante dans une robe de taffetas rose parme, Diana Damrau incarne son premier personnage, Amalia dans I Masnadieri (Les Brigands, récemment programmés à Monte-Carlo) avec "Tu del mio Carlo al seno" (Tu t’es envolée vers mon Carlo). Les sur-titres disparaissent brièvement mais s’avèrent au final inutiles, car l’exaltation de Diana-Amalia est communicative, dans le jeu scénique comme dans la voix. Nul besoin de maîtriser l’italien pour ressentir le texte, tant la soprano, radieuse, le transcrit. Trilles et mélismes renforcent une voix rieuse, solaire et pure.
Diana Damrau ne se contente pas de chanter les airs mais mobilise tout son être à travers sa forte présence scénique. Si l’auditoire a eu le privilège de l’entendre et de la voir incarner Violetta dans la mise en scène de La Traviata par Dmitri Tcherniakov à La Scala en 2013, il retrouve, dans l’air « Ah fors’è lui… Sempre libera » (C’est étrange… Ah, peut-être est-ce lui… Je dois être toujours libre), la technicité et le jeu de scène qui lui avaient assuré un triomphe dans l’exigeante maison.
La soprano a troqué le haut de sa robe pour un corsage noir aux motifs floraux et sa Violetta ose même aguicher le chef qui la remet gentiment à sa place ! Elle parvient toutefois à séduire le public par des trilles et des vibratos toujours aussi bien placés qui lui assurent une ovation légitime.
Mais la légèreté de Violetta fait ensuite place au recueillement. Diana Damrau a revêtu une autre robe pour Otello et la chanson du saule « Piangea cantando » (Elle pleurait en chantant) de Desdémone qui précède l’extraordinaire Ave Maria. Les aigus tintent avec la même pureté que sur les airs précédents, avec cette fois la juste mesure de douceur et d’émotion renforcées par la flûte. Pour l’Ave Maria, la toute première mesure des cordes, elles aussi retenues et poignantes, annonce l’air le plus bouleversant du récital.
Presqu’en un seul souffle, la partie la plus grave de l’air est sublimée, précédant la montée sur « Gesù ». La clarté des aigus, le recueillement du timbre, font venir les larmes aux yeux du public. Diana Damrau se signe sur le dernier « Amen » et un long silence suit les derniers accords avant que la salle n’éclate en applaudissements.
Deux duos ponctuent le récital. D’abord celui d’Amalia et son père Massimiliano dans I Masnadieri, « Mio Carlo… Carlo, io muoio » (Mon cher Carlo… Carlo, je me meurs) pour lequel le contraste entre les aigus de l’une et les graves de l’autre est magnifié par la projection des voix, ensuite la confrontation entre Wurm et Luisa pour « Il padre tuo » (Ton père) de Luisa Miller. Nicolas Testé est un Wurm glaçant, « r » roulés et ordres intimés (« Scrivi ! » Écris !) avec la puissance et la froideur requises. Diana Damrau est une Luisa victime de l’odieuse suggestion dont les aigus, à nouveau, sonnent et résonnent.
Les rappels exigés par le public font revenir Nicolas Testé en Massimiliano pour un "Un ignoto, tre lune or saranno" (Voilà de cela trois lunes, un inconnu vint) triomphal dont la projection ne faiblit pas malgré la soirée déjà bien entamée. Le baryton-basse lui-même fait revenir sur scène Diana Damrau avant de s’éclipser. Son dernier cadeau au public, l’entraînant "Mercè dilette amiche" (Merci chères amies) d’Elena dans Les Vêpres siciliennes, parfaitement exécuté, apporte la dernière confirmation de la perfection de ses aigus. Ce ne sont plus des applaudissements mais des hurlements qui déferlent des fauteuils.
La palette de sentiments et de personnages incarnée par Diana Damrau et Nicolas Testé sort renforcée par l’interprétation de l’Orchestre de la Radio de Munich, qui passe, comme les chanteurs, du bouillonnement de Nabucco au recueillement d’Otello, de l’angoisse de l’ouverture de Macbeth à la vigueur de celle de Giovanna d’Arco. Les solistes méritent amplement les ovations qu’ils reçoivent. Les pizzicati du violoncelle adoucissent Jeanne d'Arc, la flûte et les bassons se distinguent tout autant par leur lecture capable de véhiculer les émotions verdiennes. La complicité entre le chef et son orchestre est visible, la joie d’être à Baden-Baden contagieuse et le public quitte la salle en extase.