Macbeth à Toulouse : les miroirs de l’irréversible
Retour au Théâtre du Capitole pour l’opéra Macbeth de Verdi, dans la célèbre mise en scène de Jean-Louis Martinoty de 2012, avec Vitaliy Bilyy, baryton, et Béatrice Uria-Monzon, mezzo, incarnant le couple meurtrier. Cette mise en scène très inspirée, offre de multiples plaisirs visuels : tout d’abord les grandes peintures expressionnistes projetées à l’ouverture de chaque acte, accompagnées de citations choisies parmi les plus célèbres répliques de la pièce de Shakespeare.
Pour les oreilles du XXIe siècle, habituées aux grincements atonaux de Chostakovitch et des films pour accompagner les scènes d’horreur, la partition de Verdi peut paraître quelque peu trop dansante et optimiste lorsqu'elle évoque une forêt de sorcières, des fantômes vengeurs, des régicides, infanticides, et toute l’horreur de la conscience coupable en schisme avec elle-même. Le metteur en scène semble donc s’être donné comme défi d’y remédier en trouvant tout ce qui saura visuellement augmenter le sens de l’horreur.
Dans une invention très inspirée, Jean-Louis Martinoty imagine pour la forêt des sorcières un arbre en forme de femme (comme Daphné) pendu par ses racines au milieu de la scène. Cet arbre suggère à lui seul la forêt, car elle se multiplie, ou mieux, se fractionne en un millier de reflets, par un jeu astucieux d’immenses miroirs en une forêt d’arbres inversés. C’est le monde à l’envers, le royaume d’Hadès, ou peut-être tout simplement, le symbole d’un arbre généalogique (les racines en haut, les branches de la descendance fleurissant vers le bas). L’arbre/femme pendue par les pieds comme un traître, présage aussi de la fin d’une lignée noble par une traîtrise ineffaçable. Parfait pour le lieu des prophéties de ces sorcières.
Puissamment évocatrice est aussi l’invention des sorcières-Janus, des femmes à deux faces : l’une, nonne à la guimpe, et l’autre, squelette à crinière. Leurs robes blanches/noires sont amples et permettent des mouvements gracieux, suggérant le vol. Elles tiennent en main des soufflets, pour mimer littéralement leur projet de soulever l’orage par leur souffle. D’autres inventions sont un peu grotesques, comme le tas de membres humains enchevêtrés, qui se lève pour danser.
Fidèle des lieux, le baryton Vitaliy Bilyy assume avec bravoure ce rôle impitoyable de Macbeth, d’une voix léonine d’une admirable puissance rageuse, tonitruante et terrible. Il montre cependant plus d’aisance dans les aigus que dans le registre medium-supérieur où il semble parfois stressé. Au troisième acte, il est plus à l’aise, son "Perfidi !...Pietà, rispetto, amore" est très émouvant, avec beaucoup de jolies couleurs, pianissimi, voix couverte. Ailleurs, il manque un peu de nuances, mais il gagne en aisance et en brillance à mesure qu'avance la soirée.
Béatrice Uria-Monzon est magistrale dans le rôle de Lady Macbeth, avec une voix toujours ronde et solide du haut en bas de l’ambitus, et une aisance remarquable dans ce rôle de difficulté légendaire, surtout dans la première cavatine "Vieni t’afretta", et sa cabaletta démentielle ("Or tutti sorgete ministri infernali") même si la fioritura est un peu floutée, et la diction parfois avalée. Sa présence scénique est excitante : dans un costume magnifique (signé Daniel Ogier), robe verte et noire, cheveux très noirs, Béatrice Uria-Monzon est ravissante et magnétique, comme actrice elle est toujours très lisible et claire dans ses intentions.
La mezzo choisit de livrer une Lady cruelle d’emblée, plutôt que de la faire évoluer vers la perte totale de son humanité, alors que l’hésitation, le questionnement sont encore possibles dans le deuxième air ("La luce langue"). Pourtant dans ces airs, le personnage tente de se transformer, et doit se convaincre de commettre l’impensable (è necessario !). De son côté, le chef, Michele Gamba, aurait pu mieux accommoder ses pianissimi dans les graves, surtout la terrible « A loro un requiem, l’éternità ! »). Mais, vocalement, Béatrice Uria-Monzon montre bien la faille qui commence à fragiliser l’armure de Lady Macbeth : dans son brindisi au deuxième acte ("Si colmi il calice"), elle accomplit la merveille de livrer deux versions de la même chanson : la première, avant l’apparition du fantôme de Banquo à table, toute gaillarde, la deuxième après, apeurée et tremblante, comme il se doit.
Mais Béatrice Uria-Monzon est à son meilleur dans le dernier tour de force « Una macchia è qui tutt’ora » (Il reste une tache) l’air de somnambulisme, où sans doute pour se préparer à l’impitoyable contre-ré bémol de sa sortie de scène, qui doit se chanter sur un fil de voix (parfaitement réussi !), la mezzo tourne progressivement vers la voix de tête, et régale de quelques aigus de très grande beauté. Quelques prises de risque musicales seraient les bienvenues -quelques nuances de plus, des fléchissements de justesse, des sons creux ou grinçants, un peu de voix droite, ou même quelques stridences étranges, car après tout, Verdi disait vouloir pour Lady une « voix laide et méchante (...), âpre, suffocante, aiguë (...) quelque chose de diabolique ».
Toute la distribution de l’opéra demeure remarquable. Une des plus belles découvertes de la soirée est In Sung Sim dans le rôle de Banco, avec sa basse somptueuse, luxuriante, caressante, son visage expressif et animé. Le ténor Boris Stepanov dans le rôle ingrat de Malcolm, (toujours présent, mais très peu seul) offre un beau ténor spinto (appuyé), brillant, énergique, et très raffiné. Otar Jorjikia (Macduff) déploie également un ténor de belle qualité noble, Emanuela Pascu, la dame d’honneur avec seulement quelques répliques solos pour se distinguer, fait une impression superbe, par une voix de mezzo-soprano exceptionnellement riche et solide. De même, Carlos Rodriguez, dans le rôle du médecin, avec une basse infiniment profonde, est d’une grande beauté.
Les enfants de la Maîtrise du Capitole, Raphaël Bouri, Mélody Cohen, Catharina Mangane Barzantny et Mahery Randrianarivony Lopez, qui jouent les apparitions sont tous magnifiques, de voix fermes et claires. Les Chœurs du Capitole, sous la direction d’Alfonso Caiani sont tout à fait remarquables. Les dames sorcières se distinguent par la richesse de leurs voix et leur théâtralité. Le chœur des écossais "Patria oppressa" est sublime, porté par un splendide Orchestre national du Capitole sous la direction de Michele Gamba. Seul bémol : parfois les forces réunies des chœurs, des solistes, et de l'orchestre en fortissimo sonnent simplement trop fort, surtout entendues depuis l’orchestre. Au premier balcon, l’équilibre est plus clément, mais même là, le son s’aplatit surtout quand tous sont réunis sur le devant de la scène. Sans doute ce déséquilibre sera-t-il résolu dans les prochaines représentations de ce spectacle très prenant, festin de splendeurs vocales et scéniques.
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