Réchauffement des relations franco-russes à la Philharmonie lors du récital Peretyatko / Bernheim
Olga Peretyatko-Mariotti et Benjamin Bernheim avaient de toute évidence envie de s’amuser durant leur récital : c’est tout à fait leur droit et bien leur en a pris si l’on en croit les réactions amusées du public à chacun des jeux de scène ou des mimiques qui ont émaillé plusieurs de leurs apparitions. Cette humeur joyeuse s'est cependant manifestée un peu tôt pendant le concert, lors de pages baignées de nostalgie : le ténor mime, face au chef, une larme coulant sur sa joue avant l’air de Nemorino dans L’Élixir d’amour, puis le duo réprime ses rires avant la reprise à l’unisson de « Veranno a te » dans le duo de Lucia di Lammermoor. On a même craint un instant, au tout début de « Parigi, o cara », que le duo Alfredo/Violetta de La Traviata n’échapperait pas à ce traitement ! Ces facéties trouvent en revanche tout à fait leur place dans le duo Adina/Nemorino où les interprètes laissent libre cours à leurs indéniables qualités d’acteurs.
À défaut de raretés, le programme permet d’entendre les deux chanteurs dans des œuvres dans lesquelles on les entend peu, voire qu’ils n’ont pas encore interprétées sur scène : Luisa Miller, le Duc de Mantoue de Rigoletto, Elena des Vêpres siciliennes. Les pages sont interprétées avec les coupures traditionnelles, et c’est un peu dommage : pas de reprise de la cabalette de Norma « Ah, bello a me ritorna », versions écourtées des conclusions des duos entre Gilda et le Duc (Rigoletto) ou entre Alfredo et Violetta (Traviata), un seul couplet pour l’« Addio del passato » de Violetta. L’ensemble constitue cependant un tout cohérent et correspondant parfaitement aux moyens vocaux actuels des deux chanteurs.
L’Orchestre de Chambre de Paris met un point d’honneur à proposer un écrin digne des deux interprètes qu’il accompagne. Précis, nuancé, il donne à entendre de très belles interventions solistes : la belle flûte dans l’introduction de « Casta diva », le basson dans celle d’« Una furtiva lagrima », le violoncelle dans l’ouverture de Don Pasquale. Il répond parfaitement aux souhaits du chef Giampaolo Bisanti, passant avec la même aisance du dynamisme ou du dramatisme les plus exacerbés, y compris dans des pages qui n’en demandent pas tant telle l’ouverture de La Fille du régiment, au désespoir morbide du prélude de l’acte III de La Traviata. Quoi qu’il en soit, Giampaolo Bisanti se montre extrêmement impliqué, allant même jusqu’à jouer les rôles de souffleur en cas de besoin, ou des comprimarii (seconds rôles) Borsa et Ceprano dans le duo de Rigoletto !
L’association d’Olga Peretyatko-Mariotti et de Benjamin Bernheim dans un même concert séduit : outre une complicité artistique manifeste, les deux voix se marient très bien et présentent plusieurs caractéristiques communes, en particulier l’impression initiale de timbres assez légers, vite démentie par de très belles montées en puissance (moyennant parfois un léger durcissement du timbre), permettant aux voix d’emplir aisément la vaste salle Pierre Boulez et de conférer aux passages forte tout le dramatisme requis. Dans les différents duos interprétés (Lucia, La Traviata, Rigoletto, L’Élixir d’amour), les couleurs, les nuances se répondent de façon complémentaire, les chanteurs s’écoutant de toute évidence, sans qu’aucun des deux cherche à tirer la couverture. La prononciation du français est par ailleurs tout à fait satisfaisante pour Olga Peretyatko-Mariotti, et vraiment exceptionnelle pour Benjamin Bernheim.
Le temps semble désormais révolu où Olga Peretyatko-Mariotti affichait une virtuosité et une maîtrise du suraigu à toute épreuve : les quelques variations proposées sont relativement sages, et les aigus sont presque tous attaqués en dessous avant de se stabiliser. En revanche, la soprano russe dispose toujours – ou a gagné ! – d’autres qualités très précieuses : de beaux graves, profonds et sonores qui devraient lui permettre d’ajouter à son répertoire de nouveaux rôles, peut-être plus dramatiques, mais aussi une belle puissance et une remarquable maîtrise du souffle, particulièrement sensible dans « Casta diva », qui lui permet un chant legato de toute beauté. Sa palette de nuances et de couleurs est tout à fait appréciable, notamment dans une Villannelle d’Eva Dell’Acqua très applaudie. Son air de Violetta (« Addio del passato »), culminant sur un aigu allant crescendo et interrompu par un bref decrescendo, soudainement et volontairement étranglé, est chargé d’une émotion palpable et communicative.
La voix de Benjamin Bernheim affiche une santé insolente. Même s’il était semble-t-il très légèrement enrhumé, le ténor a donné l’agréable et rassurante impression de pouvoir faire à peu près ce qu’il veut de sa voix, laquelle s’épanouit avec naturel du plus tendre piano (l’attaque d’ « Una furtiva lagrima ») aux aigus puissants des « Ah ! mi tradia ! » chantés par Rodolpho dans Luisa Miller. Avec tant de facilité, le soin apporté aux nuances, et notamment au chant piano, pourrait être plus abouti : le phrasé délicat de Werther ou les « De’ corsi affanni » de Traviata délivrés pianissimo à la fin du duo avec Violetta donnent envie de voir cette attention généralisée à tout le concert.
Quoi qu’il en soit, le public lui fait fête, tout comme à Olga Peretyatko-Mariotti : les deux artistes, après ce concert particulièrement long et riche, proposent trois bis : la Villannelle de Dell’Acqua, le Lied d’Ossian de Werther, et un duo de L’Élixir d’amour. Les spectateurs, enthousiastes, les en remercient chaleureusement !