Drôles de P’tites Michu à Nantes
Avant Angers et Paris (à l’Athénée), les P’tites Michu de Messager s’affichent à Nantes, dans une version avec orchestre et chœur (qui disparaîtront au profit d’un dispositif plus léger à l’Athénée). Cette nouvelle redécouverte du Palazetto Bru Zane et de la compagnie Les Brigands s’appuie sur plusieurs atouts. Le premier est l’œuvre elle-même. Le livret est ingénieusement construit autour d’une ellipse initiale, dont le spectateur comprend les ressorts par petites touches au fil du premier acte, générant un vif intérêt (pour une fois, il est d’ailleurs conseillé de ne pas lire l’argument avant le spectacle afin de mieux profiter des effets de surprise). L’intrigue, qui tourne autour de deux sœurs fusionnelles en fin d’adolescence, Marie-Blanche et Blanche-Marie, est bien servie par une direction d’acteurs enthousiaste et décomplexée, qui emporte les rires francs du public tout au long de la représentation. Les parties musicales contiennent de belles pages, souvent complexes en termes d’exécution, variant sans cesse entre des ambiances festives, émouvantes ou caressantes.
La mise en scène de Rémy Barché (dont c’est la première réalisation pour l’opéra), moderne dans sa conception, reste très fidèle au livret et parvient à en compenser les quelques longueurs. La scénographie, signée Salma Bordes, consiste en une boite rose faisant penser à un jeu d’enfant, dans lequel les espaces sont dessinés par des accessoires amovibles : c’est ainsi que durant le duo dévoilant l’émoi amoureux de Gaston et de Blanche-Marie, les deux jeunes gens se tournent autour, assis sur des sièges à roulette, dans un ballet esthétique. Depuis l’ouverture habillée d’un générique, jusqu’aux saluts agrémentés de cœurs, le spectacle est commenté par les dessins de Marianne Tricot.
Les deux sœurs sont interprétées par Violette Polchi et Anne-Aurore Cochet. La première dispose d’un timbre doux et soyeux, au vibrato prononcé. Très convaincante dans son jeu parlé, elle n’est en revanche pas toujours compréhensible dans les parties chantées. De ses larges médiums ardents, elle descend vers des graves de contralto mais monte aussi jusqu’à un puissant aigu. Sa voix posée sait d’ailleurs aussi se faire piquante pour exprimer l’ingénuité de son personnage. La seconde dispose d’une prosodie claire. Sa voix fine et très couverte au souffle long et au vibrato rapide et fin, disparaît dans le registre grave, mais s’épanouit de manière croissante au fur et à mesure qu’elle monte dans l’aigu, où le son est projeté avec plus de naturel, fluide et vibrant.
Philippe Estèphe campe un Gaston séducteur et séduisant, au beau timbre structuré, bien émis. Son chant est nuancé, sachant se faire dur, mielleux, câlin en variant les couleurs et le phrasé. Son Général, peint par Boris Grappe, partage avec lui un baryton brillant. Son vibrato rapide est bien défini. Sa voix grave résonne également dans son jeu théâtral, où son calme bouillant, capable d’explosions brèves et soudaines, donne à son personnage un aspect inquiétant. De légers décalages rythmiques s’expliquent par la complexité de sa partie, notamment dans son second air à l’allure vive.
Les parents Michu bénéficient des capacités théâtrales de Marie Lenormand et Damien Bigourdan. Madame, dont la voix est placée haut, est bonne comédienne (comme elle l’a déjà montré récemment dans Le Domino Noir), elle se montre drôle sans exagérer le trait et s’appuie sur un phrasé bien pensé. De son côté, Monsieur ne se cache pas derrière sa casquette positionnée à l’envers, sa moustache ou ses lunettes de soleil : il campe un père à la fois maladroit et extraverti, dans un surjeu qui provoque l’hilarité du public. Son chant, franc et pincé structure les ensembles mais manque de chaleur dans les parties solistes.
Artavazd Sargsyan est un Aristide gauche et touchant dans sa chemise fleurie. Son timbre radieux et structuré, puissamment émis, porte les couleurs ensoleillées des ténors à l’italienne. Sa prononciation du français, hésitante dans les parties parlées, est précise une fois mise en musique (avec des « é » bien fermés). Caroline Meng, en Mademoiselle Herpin, dirige ses pensionnaires avec engagement, d’une main de fer et d’une voix volcanique au timbre moiré. Sa diction à la précision militaire bonifie à la fois ses parties jouées et chantées. Enfin, Romain Dayez croque un Bagnolet hystérique : s’il prend le risque d’en faire trop, il parvient finalement à imposer son comique de répétition et son énergie pour obtenir les rires du public.
À la tête de l’Orchestre National des Pays-de-la-Loire, le jeune Pierre Dumoussaud livre une version lyrique aux accents toniques de la partition de Messager, qui se révèle moins légère que sa qualification d’opérette ne le suggère. Quant au Chœur d’Angers Nantes Opéra, c’est un retour en enfance qu’il opère : les femmes (dont plusieurs assument des parties solistes) sont habillées (par Oria Steenkiste) en pom-pom-girls tandis que les hommes arborent des casquettes roses à paillettes et des sweats rouges floqués du nom de l’opéra. S’il n’est pas en place à l’acte II, il est plus à l’aise ensuite, notamment pour la députation des Halles, pourtant complexe.
Lorsque les deux sœurs réclament des applaudissements dans leur dernier duo, le public ne se fait pas prier et laisse éclater un enthousiasme massif pour ces Michu.