Bach en sept paroles VII - Consolation à la Philharmonie de Paris
Depuis le 11 octobre 2017, date du premier concert à la Philharmonie de Paris inaugurant le cycle « Bach en sept paroles », Raphaël Pichon redécouvre l’œuvre sacrée de Bach de manière thématique, tout en mettant l'accent, au-delà de son caractère religieux, sur son message humaniste. Ainsi, les Lumières inauguratrices ont laissé la place au Passage, à l’Appel et au Châtiment, suivi des Profondeurs et de la Passion selon Saint Jean incarnée par la formule « Voici l’homme ». Intitulée « Consolation », cette septième parole porte l’espoir et la joie de la vie après la mort et la résignation du croyant face à son sort. Initialement annoncé à la Cité de la musique, le concert a finalement lieu au sein de l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe de la Villette en raison d’une fragilité repérée dans les fondations de l'institution.
Au programme de la soirée, les cantates BWV 82 et BWV 21 et un motet ("Der Gerechte kömmt um") de Jean Sébastien Bach, mais aussi deux arias de Jean-Christophe Bach ("Mit weinen hebt sich's an" et "Es ist nun aus") et un chœur à huit voix du compositeur Sven-David Sandström ("Es ist genug"). À l’Ensemble Pygmalion se joignent la jeune soprano américaine Robin Johannsen, Lucile Richardot (présente lors de la sixième parole), Robin Tritschler, Stéphane Degout (avec lequel Pygmalion a récemment enregistré le CD « Enfers ») et Tomáš Král (entendu en Jésus dans la Passion selon Saint Jean). Aux voix chantées s’ajoute la voix déclamée de la comédienne Anne Alvaro, qui propose entre chaque pièce un interlude poétique où résonnent dans l'espace cerclé de marbre des extraits de l’ouvrage À la lumière d’hiver écrit par Philippe Jaccottet.
L’Ensemble Pygmalion montre une fois encore une cohésion remarquable, aussi bien chez les instrumentistes qu’au niveau des voix. Ces dernières forment ensemble de superbes architectures sonores. Lors des passages homorythmiques où un même texte est déclamé par toutes les voix, les syllabes sont décrochées à l’unisson avec une grande précision, véhiculant le texte avec énergie. Cette précision dans l’exécution se retrouve avec les motets a cappella de Jean-Christophe Bach ("Mit weinen hebt sich's an" et "Es ist nun aus") et dans le chœur à huit voix du compositeur Sven-David Sandström ("Es ist genug"). Attentif à la direction du chef, le chœur en propose une interprétation d’une grande justesse, alliant rigueur rythmique et généreuse expressivité. Dans les motets de Bach (comme dans les parties fuguées), les répétitions motiviques sont soulignées par de légères accentuations entre les tessitures, alors que les nombreux frottements de voix dus à des intervalles resserrés et autres chromatismes dans l’œuvre de Sandström sont assurés avec justesse jusqu’à produire de belles peintures harmoniques. La précision rythmique de l'Ensemble s’incarne également dans de nombreux silences soudains amenant une reprise de concert (notamment dans le chœur "Ich hatte viel Bekümmernis in meinem Herzen" extrait de la Cantate BWV 21). Enfin, il faut relever la formidable amplitude sonore de l’ensemble, les nuances menées intelligemment tout au long du concert des piani intimistes à des forte ouverts à pleine voix.
Soliste au sein du programme Young artist du Deutsche Oper de Berlin, la jeune soprano américaine Robin Johannsen prête habilement sa voix à l’air « Seufzer, Tränen, Kummer, Not » (« Soupirs, larmes, chagrin, tristesse ») où elle montre, accompagnée du hautbois, un timbre doux et fruité, plein d’une suavité belle. À cela s’ajoutent de notables qualités théâtrales. En duo avec la basse Tomáš Král où se dévoile un dialogue entre l’Âme et Jésus (dialogue intérieur comparable à un savoureux duo amoureux), la soprano incarne avec authenticité le croyant en proie à ses questionnements, modulant son discours par des lignes flûtées et des mouvements plus emportés s’achevant in fine en sourires (« Viens, mon Jésus, et réconforte-moi »). Son homologue masculin répond avec énergie, voix de l’autorité dont les différentes inflexions offrent un discours juste et homogène, alternant entre des basses installées sans être pesantes et des médiums chantants. À l’aise dans les vocalises, il ouvre le thème de la fugue finale (« Louange et honneur, gloire et puissance à notre Dieu pour l’éternité ») avec une heureuse vigueur.
Entendu dans la cantate BWV21, le ténor Robin Tritschler montre une voix puissante au timbre d’airain. Les attaques sont franches, assumées, et les ornements baroques menés avec élégance. Poussant parfois la voix dans les aigus, il déploie des notes saillantes et puissamment vibrées sans perdre en justesse. Il faut souligner une heureuse volonté de se détacher du livret, y compris lors des passages rapides (« Bäche von gezalznen Zähren »). Voix portante d’une grande clarté, Lucile Richardot exploite avec bonheur l’ambitus de sa voix, entre des aigus limpides et chaleureux et des médiums plus corsés. Ses « Adieu, monde » résolus laissent la place, lors d’un trio avec Robin Johannsen et Tomáš Král, à de savoureuses lignes intermédiaires et contrapuntiques reliant les tessitures de la soprano et de la basse.
En escale à Paris entre deux représentations des Lessons of love and violence, Stéphane Degout offre sa voix pour la cantate BWV 82 "Ich habe Genug" (« Je suis comblé »). Accompagné par le chaleureux hautbois, il montre une voix bien installée, souple aussi bien dans les aigus que dans les graves. La maîtrise de l’émission est remarquable, et l’on retrouve chez le baryton ce sens de la diction travaillée si caractéristique. Dans la célèbre aria "Schlummert ein, ihr matten Augen" (« Endormissez-vous, yeux las »), le baryton déploie, outre un legato bien ficelé, de graves et chaleureuses notes tenues répondant à la prestance du personnage.
Après de chaleureux applaudissements, Raphaël Pichon offre une page d’Heinrich Schütz, "Selig sind die Toten" (« Saints sont les morts »), concluant cette septième et dernière parole par l’une des plus grandes inspirations de Jean-Sébastien Bach.
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