Quand la Cathédrale de Metz devient milonga
La Misa a Buenos Aires du compositeur, pianiste et chef de chœur Martìn Palmeri, plus connue sous le nom « Misatango », est une œuvre singulière, créée en 1996. Quoi de plus antinomique a priori qu’une messe-tango ? Pourtant, le terme englobe deux traditions ancrées dans la société et la culture argentine, catholique et berceau du tango. Ce dernier, inhérent à l’identité porteña (de Buenos Aires), se marie parfaitement à la construction classique d’écriture des messes. L’œuvre conserve donc Kyrie, Gloria, Credo et autre Sanctus, latin et grec sans lunfardo (l’argot de Buenos Aires largement utilisé dans le tango), mais les paroles sont chantées sur la rythmique du tango.
Les instruments choisis pour cette œuvre sont en nombre réduit : deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse, un piano et un indispensable bandonéon qui domine la ligne musicale. Le concert propose cette Misatango, la célébrissime Milonga del Angel d’Astor Piazzolla (également auteur de l'opéra-tango Maria de Buenos Aires dont nous rendions récemment compte) et le Magnificat de Palmeri, lui aussi construit comme la première œuvre, mélange de latin et de rythmes porteños.
Le Chœur de Chambre du Luxembourg, auquel s’ajoutent quatre instrumentistes et le trio Tango Sonos pour la contrebasse, le piano et le bandonéon, est accompagné par la Maîtrise de la Cathédrale de Metz. Sara Galli, soprano italienne de formation classique qui aborde depuis 2012 le tango, vient compléter l’ensemble, dirigé par Christophe Bergossi.
Pour les novices de la Misa a Buenos Aires, le Kyrie ôte tous les a priori sur l’alliance de la messe et du tango. Certaines inflexions rappellent le « Tango pour Claude » de Richard Galliano, et pourtant, les paroles sont bien celles d’un Kyrie. La combinaison fonctionne parfaitement, mélange de paroles sacrées et de mélodies profanes. Les graves du chœur manquent toutefois de coffre, travers vite corrigé pour le Gloria particulièrement enjoué. Sara Galli s’échauffe et relève le défi de la rythmique du tango sur un texte latin. Si la voix est bien placée, elle manque toutefois de projection, souvent happée par le bandonéon dominant. Le Credo confirme l’aisance des cordes et Sara Galli ponctue ses aigus de mélismes et de vibratos qui ornent une voix désormais bien mieux projetée. Le Sanctus voit dominer les graves puissants du chœur, renforcés par le violoncelle de Cyrielle Golin sur ses cordes les plus basses. Un savant jeu de percussions se développe entre le piano, la contrebasse et la soprano. Ce Sanctus se termine joyeusement et porte l’expression du croyant de façon simplement humaine.
L’Agnus Dei se pare d’une coloration plus classique dans un premier temps, avant de créer un décalage entre la puissance solennelle du chœur et la légèreté de la tonalité. Le bandonéon est une voix à part entière. Il suit, ainsi que le chœur, une ligne mélodique reprise ensuite par les cordes, embellie par les vibratos du violoncelle.
Après la Milonga del Angel pour laquelle les cordes font à nouveau la démonstration de leur virtuosité, le Magnificat conclut le concert, faisant osciller les voix du timbre le plus fort au plus mesuré, à tel point qu’elles sonnent comme des pizzicati. Sara Galli maintient dans cet opus l’aisance qu’elle a su trouver depuis le Credo.
Le public, debout, demande un rappel et c’est le Sanctus qui est choisi, recevant les mêmes acclamations que le reste du concert.