Mitra de Jorge León, d’éther et de pierre : un Opéra psychiatrique
Musique baroque et composition électro-brutaliste pétrissent MITRA, Opéra Ovni questionnant la normalité et la perte identitaire, la chute sociale et la confrontation à la solitude. Le public y rentre par la scène, traversant ce long couloir de rideaux blancs, comme ceux des hôpitaux, qui serviront de toile au « nouveau mythe » de Mitra. L’histoire de cet Opéra tient d’une histoire vraie, celle de Mitra Kadivar, dont les appels à l’aide ont été lancés par mail en 2012, comme une bouteille à la mer pour échapper à une incarcération forcée à l’hôpital psychiatrique de Téhéran.
La relation épistolaire entre la psychanalyste et un homologue français, Jacques-Alain Miller, prend forme avec la modernité du clavier solitaire, en opposition totale avec la partie chantée des Chœurs d’Opéra de La Monnaie. Des images d’hôpitaux, des gros plans sur des visages habituellement cachés, l’effroyable vérité de l’exacerbation des sentiments des malades… Jorge León confronte la rigueur de l’opéra à l’effrayante liberté des fous.
L’ensemble des chanteurs de La Monnaie de la MM Academy (Hanna Al Bender, Gwendoline Blondeel, Raphaële Nsunda Nluti, Logan lopez Gonzalez, Pierre Derhet et Kamil Ben Hsain Lachiri) et l’Ensemble Ictus ont été pré-enregistrés, permettant une transcription musicale optimale, et un déploiement musical sous forme d’un dispositif en totale circulation. Le son ambiant, la musique et les voix des chanteurs sont spatialisés de toute part de la salle. De la matérialité des corps et des voix, confrontés à l’évanescence des textes digitaux, des vidéos projetées et de la musique immersive, l’expérience est totale.
Le décor est un amas de déchets architecturaux, ruines d’un hôpital détruit où résonnent différentes lignes musicales totalement opposées. La partition musicale écrite par Eva Reiter, mêle souffles humains, sons ambiants, voix chantées ou parlées et sons électroniques, interprétés par l’Ensemble Ictus sous forme de synthèse granulaire.
De la peur d’être folle, et d’être enfermée parmi eux, Mitra Kadivar écrit, donne à chanter l’angoisse à la voix de la soprano Claron McFadden. Soutenue par les chœurs de La Monnaie, dont la partition signée George Van Dam se dessine en œuvre schizophrénique, partagée entre un héritage musical classique, voire baroque, et un plongeon dans le futur d’une musique psychiatrique.
C’est la pureté de la voix soprano sculptée qui marque chez Claron McFadden. En des aigus clairs, dont les origines baroques sont insignes, bercés d’accords classiques, la voix se dessine, humainement imparfaite et sensible. Confrontée à la musique des machines, c’est la voix des Hommes par le chant, en ultime expérience linguistique, qui pénètre l’âme des fous, et soigne les « anormaux ».
Les aigus sonnent, sans limite, légèrement soufflés et au delà de la performance remarquable de Claron McFadden sur scène, c’est le travail en amont qui marquera les esprits. En effet, bientôt sortira le documentaire complet MITRA, présentant la rencontre des malades avec le réalisateur et la chanteuse.
Une affaire à suivre de près, pour les plus téméraires auditeurs d’Opéra.