Pour la Duchesse du Maine, album de princesse par La Française
Tout commence par une déchéance (souvent la meilleure des motivations pour rebondir et entamer de grands projets, y compris culturels) : Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon est née princesse (car petite-fille de Louis II de Bourbon, prince de Condé), mais elle épouse en 1692 un fils illégitime (heureusement, son père n'est autre que Louis XIV, qui reconnaîtra l'enfant de sa maîtresse Montespan et en fera un duc du Maine, ce qui est toutefois moins bien qu'un Prince). Déclassée, la duchesse se morfond à Versailles, heureusement, son mari acquiert le château de Sceaux dont elle fera un haut-lieu culturel durant un demi-siècle, organisant de Grandes fêtes, invitant les penseurs, scientifiques, mais également des musiciens pour assouvir son goût prononcé de la tragédie : elle interprète en personne les rôles principaux.
Gravé par les cinq musiciens de La Française, cet album Pour la Duchesse du Maine redonne vie à trois œuvres emblématiques de son univers et de son mécénat et notamment les cantates tragiques, opéras miniatures et moralistes offrant la parole en alternance à la récitation et à la tragédienne. La première d'entre elles est Médée de Nicolas Bernier (1664-1734) qui rappelle l'œuvre éponyme de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), non pas seulement car ils partagent le même sujet terrible d'une sorcière infanticide, mais aussi car Bernier rend ainsi hommage au grand génie tutélaire qui l'a précédé avec une virtuosité instrumentale, perçant un voile de douceur pour annoncer les folies enragées. Une virtuosité obstinée qui fait le lien avec l'autre cantate de l'album, dédié à une autre amante délaissée : Ariane de Thomas-Louis Bourgeois (1676-1750). Médée et Ariane partagent également une fin terriblement glorieuse, bien que pour des raisons et par des actions diamétralement opposées : Médée triomphe par la cruauté en tuant ses enfants, Ariane est rédimée par le repentir dans la Gloire de Bacchus (deux occasions de laisser normalement éclater les mêmes trompettes qui animaient les grands événements à Sceaux). L'interprétation par ce quintette (clavecin et violoncelle en continuo du violon et de la flûte, en contrepoint de la chanteuse Marie Remandet) ne peut retransmettre cette dimension rutilante, mais l'intensité de la passion et de la tragédie se préserve, se concentre même lorsqu'elle voyage du tréteau au salon.
Pour la duchesse du Maine alterne ainsi (avec une grande rapidité, parfois même en plein milieu d'une phrase) les deux caractères attendus d'un genre courtois et passionné donné en représentation pour un cénacle choisi : les élans pathétiques (avec une dimension moralisatrice pour ces femmes punies et rachetées) et la virtuosité mesurée. Cet album est un hommage à la qualité cardinale de l'art de cour : la sprezzatura (cette nonchalance aussi naturelle que travaillée qui présente les gestes les plus recherchés sous l'apparence d'une évidente facilité).
Pour porter ce propos, la voix bien placée sait lancer de souples accents afin de conserver une ligne claire, mais tout en profitant de la légère résonance offerte par la captation. Ses quelques écarts de justesse sont alors même portés par cette projection et passent pour des effets dramaturgiques.
Pour encore améliorer l'effet, les graves pourraient toutefois gagner en amplitude et en terreur, tandis que des vocalises bien plus agiles rendraient davantage hommage à l'écriture ornementée française. D'autant qu'elle est merveilleusement soutenue par l'effectif instrumental, portant son avancée sur les bouillonnants tutti, lui tissant un cocon d'émotion par une simple gamme ascendante au violoncelle, charpentant ses harmoniques sur le corps boisé de la flûte. Autant d'effets permettant une identification de l'auditeur aux tourments, malheurs et rages de Médée comme d'Ariane.
Intercalé au mitan des cantates, un Concert de Chambre de Jean-Joseph Mouret (1682-1738) prolonge fort bien la première cantate et amène à la seconde, confirmant la cohérence dans le choix de cet album et les affinités électives des artistes réunis. Il rappelle également qu'un compositeur, tel que Mouret, pouvait à l'époque entrer au service d'une Duchesse pour enseigner la musique à ses enfants et devenir le compositeur reconnu d'un haut-lieu de la culture française.