Michael Spyres et le public français au Comique : it’s a love affair !
Dès son apparition sur scène, le ténor fait montre d’une sympathique simplicité, absolument pas calculée. Nul besoin de lancer une plaisanterie, d’esquisser un pas de danse, de faire le pitre pour mettre le public dans sa poche : le plaisir sincère d’être là, tout simplement, à chanter un répertoire qu’il apprécie tout particulièrement devant un public qu’il aime et qui le lui rend bien –plaisir dont témoigne un sourire généreux affiché dès son entrée en scène– suffit à tisser un lien très fort entre le chanteur et les spectateurs. D'autant que Michael Spyres offre un concert de grande qualité, très intelligemment élaboré, et correspondant bien à ses moyens actuels.
Sachons-lui gré tout d’abord d’avoir composé le programme à partir d’extraits d’œuvres (presque) toutes créées à l’Opéra Comique, qu’il s’agisse des pages vocales aussi bien que des morceaux pour orchestre (à l’exception de l’insolite ouverture de L’Italienne à Alger) : les « airs de danse » de Lakmé, et surtout la suite orchestrale tirée de Carmen permet au très bel Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine de faire entendre, sous la direction précise et élégante de son chef Jean-François Heisser, des sonorités tantôt délicates et raffinées, tantôt rutilantes et bigarrées, pour le plus grand plaisir des spectateurs qui accueillent particulièrement chaleureusement l’exécution des pages extraites de Carmen. Même si un siècle entier s’écoule entre la création d’Ariodant de Méhul (1799) et celle de Louise (1900), les œuvres retenues permettent d’entendre tout à la fois ce qui fait l’homogénéité d’un genre et son évolution en termes de style et d’impératifs interprétatifs. Pas de réelles découvertes, mais le programme fait cependant alterner des pages célèbres (Les Contes d’Hoffmann, Manon, La Damnation de Faust) avec d’autres, certes connues mais plus rarement entendues : Louise, Mignon, et surtout Ariodant, dont Michael Spyres avait déjà interprété le très bel air « Ô Dieux, écoutez ma prière ! » pour le public londonien en février 2017 (église St John) lors d’un concert (The first Romantic) entièrement dédié à Méhul.
Michael Spyres a dû récemment annuler sa participation au Requiem de Berlioz donné dans la grande salle de la Philharmonie de Paris le 27 avril dernier (voir le compte rendu d’Ôlyrix). Il semblait vendredi soir à peu près rétabli, mais peut-être encore légèrement fatigué : en témoignent une endurance un peu moindre que d’habitude (d’où sans doute la présence de deux bis seulement), une montée vers le si bémol aigu un peu périlleuse à la fin de l’air de Don José, une puissance parfois limitée dans le « Nature immense » de La Damnation, ou encore des « Ah ! Fuyez ! » un peu difficiles dans l’air de Des Grieux. En revanche, le public apprécie son respect du style de ces pages, chantées avec une émotion sobre et dont les lignes vocales sont sculptées avec finesse et goût. Le ténor démontre un soin réel apporté à la caractérisation des personnages, en évitant comme il se doit dans ce répertoire tout excès, tout histrionisme (très belle interprétation du Hoffmann d’Offenbach). Sa prononciation du français est très satisfaisante, tout comme son utilisation séduisante de la voix mixte permettant de jolies nuances, et sa tenue du souffle autorisant un chant legato de grande beauté.
C’est sans doute dans le chant suave et élégiaque que l’art de Michael Spyres séduit le plus, par exemple lorsque le chanteur détaille superbement « L’aile de l’amour a passé » dans l’air de Gérald au troisième acte de Lakmé, lorsqu’il exhorte Mignon à ne pas pleurer (air de Wilhelm), ou lorsqu’il prie Dieu de « dissiper à la lueur [de sa flamme] / L'ombre qui passe encor dans le fond de [s]on cœur » (air de Des Grieux). Certaines pages lyriques ou plus dramatiques le montrent cependant également très à son aise et/ou fort émouvant, comme dans la section médiane de l’air de Kleinzach, voire dans l’invocation à la Nature de La Damnation de Faust qui, si elle sollicite toutes les ressources du chanteur en termes de puissance et de souffle (ou parce qu’elle les sollicite), le montre particulièrement habité et remporte l’adhésion du public qui l’applaudit chaleureusement.
D’une manière générale, le public de l’Opéra Comique se montre sous le charme du chant de Michael Spyres. Conquis dès l’interprétation de la prière d’Edgard dans Ariodant (et, à vrai dire, avant même que le ténor n’ouvre la bouche !) il ne se montre pas avare d’applaudissements, témoignant un véritable amour pour ce chanteur attachant, qui défend avec conviction un répertoire parfaitement adapté à sa voix. Les bis, en particulier, déchaînent l’enthousiasme, avec la ronde du Postillon de Lonjumeau (quel courage que de proposer cette page hérissée d’aigus en fin de concert !), et une reprise de "La Légende de Kleinzach" (couronnée d’aigus extrapolés) encore plus réussie qu’au début du récital. À n’en pas douter, le public, après avoir noyé l’artiste sous un déluge d’applaudissements, n’éprouve en ce moment précis « qu’un seul désir, qu’un seul espoir » : le revoir, comme le proclame Don José à Carmen. Ce sera bientôt chose faite, en ce même lieu, du 2 au 14 juin, dans La Nonne sanglante de Gounod (réservations) !