Natalie Dessay et ses portraits de Femmes à la Monnaie
Amateurs de programmes complices, les deux artistes présentent à La Monnaie de Bruxelles « Portraits de femmes », l’occasion pour Natalie Dessay de s’exercer encore une fois à la schizophrénie de la voix féminine, partagée entre les âges, les histoires et les désirs.
« Ma tessiture appelle des rôles stéréotypés » affirmait-elle en 2013, lassée des rôles de jeunes femmes, voire souvent de jeunes filles. S’éloigner pour mieux revenir, épicurienne au possible, Natalie Dessay distille les notes avec une ingéniosité ludique et amusée. Aussi pour l’occasion, s’adonne-t-elle avec malice au jeu des transformations avec un programme très varié, partagé entre des pièces opératiques allemandes mozartiennes (accompagnées au piano), des Lieder de Schubert et d’Hans Pfitzner, et une partie consacrée au répertoire français du XIXe siècle avec des pièces d'Ernest Chausson, de Georges Bizet, de Claude Debussy et de Charles Gounod.
Faut-il encore parler du talent vocal de Natalie Dessay ? Toujours à un niveau quasi solaire, les notes peut-être un peu soufflées à l’attaque, triomphent indéniablement dans les aigus. Très féminine, la voix se transforme littéralement, de façon chimique. L’auditoire assiste alors à la formation des notes, à leur modulation sans limites. Natalie Dessay s’amuse de la vision de la femme dans la musique, et prend le parti de conter avant chaque morceau son contenu parfois ironique, absurde et superbe.
Ouverture sur l’Aria de Susanna, extrait des Noces de Figaro, « Giunse alfin il momento - Deh vieni, non tardar » (Le moment arrive enfin - Viens, ne sois pas en retard), et son accompagnement minimaliste au piano, surprenant de simplicité et de beauté : Natalie Dessay rejoint sur scène le pianiste et entonne le grand classique avec un panache et un détachement unique. Schubert aura trouvé en la soprano colorature une artiste à la palette des plus modernes ! Aérienne, Dessay chante fièrement « Die junge Nonne » pour immédiatement succomber à la tristesse nostalgique du « Lied der Mignon, Nur wer die Sehnsucht kennt » (Seul celui qui connaît la nostalgie) de Goethe. Un aller-retour émotionnel, bercé au clavier d’un suave infini.
L’Alte Weisen de Hans Pfitzner écrit sur des poèmes de Gottfried Keller (que Philippe Cassard nommera avec humour sur scène « les minettes de Pfitzner ») offre à Natalie Dessay des métamorphoses vocales des plus variées. Dans la pièce « Wandl ich in dem Morgentau » (Quand je vagabonde dans la rosée du matin), air le plus romantique de la sélection, la soprano se montre rayonnante de vivacité, presque piquante, et le naturel encore une fois triomphe.
Ce qui marque le plus chez Dessay, c’est cette impression du moindre effort. Le travail dissimulé sous le talent semble être une nature première. Les années passent et Natalie Dessay reste, jouant Susanna, Pamina, Marguerite, une femme libre, une religieuse, une hôtesse arabe. S’en suivent des transfigurations bercées au clavier par Philippe Cassard qui joue le jeu avec une immense acuité.