Opéra : une histoire d’Amour par Nathalie Manfrino
La place de la femme est souvent, voire toujours, centrale dans le répertoire lyrique. Certaines héroïnes des plus beaux opéras font même preuve d’une personnalité forte et affirmée, luttant pour leur émancipation et leur liberté d’aimer. Par les histoires des destins sublimes et tragiques de trois d’entre-elles, la soprano Nathalie Manfrino veut partager son amour de l’opéra : Violetta (La Traviata), Mimi (La Bohème) et Carmen. Accompagnée de Samuel Jean, à la tête de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, elle s’entoure d’une jeune équipe de solistes et crée un opéra imaginaire en deux actes à partir des plus beaux airs des chefs-d’œuvre de Giuseppe Verdi (1813-1901), Giacomo Puccini (1858-1924) et Georges Bizet (1838-1875).
Le premier acte débute par le célébrissime prélude de Carmen. Au premier abord, la prise de son privilégie les cuivres aux cordes et surtout aux bois, qui paraissent lointains. C’est l’occasion de découvrir cette ouverture différemment, avec des trompettes qui semblent même s’amuser de leur accompagnement, à la fois fier et espiègle. L’ensemble de l’orchestre se montre capable de contrastes dramatiques, les cordes de legato dans leur chant. Surprise toutefois à l’unisson de la note finale, où l’amateur cynégétique pourra détecter une note fausse –certainement chez un cor– non corrigée au montage.
Le rideau s’ouvre avec la présentation des personnages, d’abord avec « Mi chiamano Mimi » (On m'appelle Mimì – La Bohème) puis « Che gelida manina » (Quelle petite main gelée). Nathalie Manfrino fait de suite preuve d’une grande musicalité, avec de réelles intentions contrastées. Néanmoins, l’amplitude de son vibrato empêche souvent la compréhension de son texte et ses aigus sonnent agressifs. Le ténor Jean-François Borras sait que de sublimes versions ont déjà été enregistrées par les plus grands. Il propose alors une interprétation pleine de sincérité, jamais excessive et aidée d’un timbre suave et charmeur par sa simplicité. Le chant est également soutenu par les couleurs quasi enchanteresses de l’ensemble dirigé par Samuel Jean.
Le charme et la sincérité du ténor opèrent toujours dans la déclaration d’Alfredo « Un dì felice, eterea » (Un jour, heureux et sublime – La Traviata), avec des aigus très fins et agréables. Manfrino semble avoir gagné en assurance pour ses vocalises avec la clarinette, jolies et fluides. Elle laisse place à la jeune mezzo-soprano Anaïk Morel pour « Quand je vous aimerai ?... L’amour est enfant de bohème » (Carmen) qui fait entendre une attention soignée au texte et à sa respiration dès le récitatif. Le chœur étant absent, l’orchestre revêt parfaitement son rôle, devenant un personnage à part entière, avec des parties équilibrées et toutes distinctes. La séduction est un plaisir qui se joue à deux : c’est au tour du baryton Étienne Dupuis de faire entendre ses talents par le récit de ses exploits « Votre toast, je peux vous le rendre… Toréador, en garde » (Carmen). Le timbre du baryton se fait fougueux et séducteur, racontant son texte avec une belle clarté. L’orchestre l’est aussi, particulièrement les cuivres : les cors font entendre de belles couleurs et les trompettes une appréciable précision. « O soave fanciulla, o dolce viso » (Ô douce jeune fille, douce vision – La Bohème) s’exclame alors tendrement Jean-François Borras. Nathalie Manfrino paraît plus proche du micro que le ténor, ce qui produit un duo sur deux plans et aux intentions donc différentes. Cependant la fin, comme en coulisses, fait entendre un contre-ut très réussi de la soprano.
Le deuxième acte de l’opéra recréé débute par le magnifique prélude de La Traviata, où le temps semble s’arrêter par les couleurs pianissimi et les silences des cordes. On y apprécie les basses légères et la belle mise en valeur du lyrisme des violoncelles. Il ne manquerait sans doute qu’une conduite de phrasés plus expressive pour en faire une version parfaitement convaincante.
L’amour ne finit jamais bien : le second acte est le commencement de la tragédie. Pour sauver l’honneur de sa famille, Nathalie Manfrino chante « Ah ! dite alla giovine » (Ah ! dis à la jeune – La Traviata) avec des intentions dramatiques et sages parfois perturbées par un vibrato trop ample, puis « Donde lieta uscì al tuo grido d’amore » (D’où il a plu à ton cri d’amour – La Bohème). L’amour est encore fort et la séduction subsiste avec le sensuel « Près des remparts de Séville » (Carmen), où le beau timbre d’Anaïk Morel se fait agréablement insolent. Conquis mais déjà détruit de cette passion fatale, Jean-François Borras offre une belle interprétation de « La fleur que tu m’avais jetée » (Carmen). Sa simplicité musicale, sans héroïsme superflu, permet des aigus doux –comme exigés par la partition mais trop souvent oubliés. Si l’on peut distinguer les beaux contre-chants des violons, on souhaiterait qu’ils gardent leur homogénéité à la fin de la scène pour que ce soit un moment de musique parfait.
Étienne Dupuis jure de se venger de son amour trahi dans « Di Provenza il mar, il suol » (La mer et le sol de Provence - La Traviata) et Nathalie Manfrino interprète le chant final de Violetta « Teneste la promessa… Addio, del passato » (Il a tenu sa promesse… Adieu, passé), empli de tristesse, particulièrement par les respirations et les souffles de la soprano qui font bien ressentir la douleur de cet être faible.