Permission de minuit pour Joyce DiDonato en direct du Metropolitan Opera
Le conte de Cendrillon a toujours inspiré les compositeurs. On peut penser en premier lieu à la Cenerentola de Rossini, mais le récent opéra Cinderella créé par la jeune Alma Deutscher en 2015 et récemment donné dans sa version complète à l’Opéra San Jose de Californie en témoigne également. Cent-quinze années auparavant, Massenet met en musique Cendrillon et rencontre un immense succès. De nos jours, son œuvre, bien moins connue que Manon ou Werther reste rarement mise en scène. Et Laurent Pelly a peut-être dissuadé certains metteurs en scène de s’y atteler, tant sa version est réussie. Également créateur des costumes du spectacle (créé pour la première fois en 2006 à l’Opéra de Santa Fe), il tire de la musique de Massenet des images d’une grande poésie et d’une justesse constante. Sans jamais tomber dans le grotesque, il n’hésite pourtant pas à tourner en ridicule les personnages et propose de nombreuses scènes pleines d’humour et d’inventivité.
Conçue comme les pages d’un livre (il n’est pas un élément de décor où ne figure du texte en français, issu du conte), sa mise en scène ouvre et ferme l’espace selon que l’action se déroule dans le palais du roi ou dans la chambrette de Cendrillon, sans jamais se départir d’un trio de portes à cour et à jardin, par lequel entre et sort toute la féerie du spectacle.
L’implication scénique de chacun est à souligner, dans cette mise en scène maintenant très bien réglée. Elle apporte fluidité et rythme à l’ensemble, ainsi qu’une certaine jubilation à voir les chanteurs et chanteuses s’amuser autant. La direction d’acteur est ici particulièrement soignée, à la fois pour les solistes et les chœurs. Les scènes de défilé des nombreuses prétendantes devant le Prince sont très inventives, de même que la chorégraphie des différents ballets.
Grande habituée de cette mise en scène, Joyce DiDonato parvient à conférer au personnage de Lucette (aussi appelée Cendrillon) une candeur toute particulière. La voix est parfaitement équilibrée, et les quelques tensions perceptibles dans les aigus ne gâchent pas une prestation totalement convaincante. La mezzo-soprano anglaise Alice Coote, dans son interprétation du Prince Charmant bousculé par le protocole royal, est d’une grande justesse autant vocale que scénique et la chanteuse semble très à l’aise dans ce rôle travesti choisi par le compositeur.
L’autre duo de la soirée est celui formé par l’excellent Laurent Naouri, qui offre une interprétation très sensible du rôle de Pandolfe, le père de Lucette et Stephanie Blythe en Mme de La Haltière, marâtre impitoyable et pleine de mauvaise foi. Cette dernière est particulièrement impressionnante dans son registre de contralto, voix qu’elle projette avec une facilité déconcertante, conférant à son personnage un charisme immédiat. À cette forte personnalité viennent s’ajouter celles, peu attachantes, de ses deux filles Dorothée et Noémie respectivement interprétées par Maya Lahyani et Ying Fang, drôles à souhait.
Enfin la Fée, campée tout en vocalises par Kathleen Kim, finit d’apporter sa touche de poésie au spectacle. Idéale dans ce rôle de marraine protectrice, elle décortique la partition pourtant difficile avec facilité et achève ses interventions d’aigus élégants et parfaitement maîtrisés.
Reste à saluer l’excellente prestation des Chœurs et de l’Orchestre du Metropolitan Opera, sous la baguette de Bertrand de Billy, qui nuance avec beaucoup de réussite la musique de conte de fée de Jules Massenet.