Le Barbier de Séville à Metz : Figaro qua, Figaro là, Figaro sì !
À l’angle d’une rue qu’éclaire un réverbère, sous la silhouette d’un gratte-ciel illuminé et d’un pont qu’on devine être celui de Brooklyn, domine un immeuble envahissant dont l’architecture tranche avec le reste du décor. Petites briques sévillanes, fenêtres aux entrelacs de fer forgé et azulejos en soubassement : le bâtiment porte le nom « La gabbia di Venere » (La cage de Vénus) qui suggère qu’il est un hôtel de passe. Il s'agit là de l'une des rares allusions à Séville dans cette mise en scène qui rappelle la trilogie du Parrain. Une belle américaine, le coffre fermé, sert de cachette à Almaviva au début du premier acte (comme dans la mise en scène de Damiano Michieletto, revue récemment à Bastille).
Une fois l’immeuble ouvert, son intérieur dévoile un café aux portes et escaliers multiples, permettant des entrées et sorties de scène en haut et sur les côtés, ce qui renforce l’impression de précipitation des personnages, et de l’argument. Ce café aux quelques tables rassemble une galerie de personnages secondaires caractéristiques, gros bras patibulaires et policiers aux uniformes à vestes boutonnées des années 1950. C’est surtout l’abondance de photos aux murs et le jeu des personnages secondaires qui ancrent le décor de la mafia italo-new-yorkaise. Les portraits de Lucky Luciano et Jean Harlow trônent à côté de celui de Pie XII, la cafetière à espresso est forcément une petite « moka », le public suit les aventures d’un sachet de poudre suspecte bien rembourré. Don Basilio, maître de musique, sort de sa boîte à violon un revolver qu’il agrémente d’un silencieux, alors que Fiorello, devant le décor fermé au début du premier acte, déambule, chapeau et costume gris, prêt à en découdre avec les hommes de main du coin.
Hormis le décor fermé qui déséquilibre quelque peu l’occupation de la scène au début du premier acte, cette transposition permet des renforcements comiques, peut-être parfois en surabondance. Ainsi Don Bartolo, s’exprimant sur l’air chanté par Rosine, remplace-t-il Caffariello par le ténor Mario Lanza, dont la voix surgit d’un tourne-disque (un autre accessoire déjà présent dans la version Michieletto), avant que Figaro ne le renverse. Donna Berta est une « mamma » qui régale la pègre d’un plat de spaghetti bolognaises, avant que ses invités ne trinquent « à la famille », un verre de grappa à la main. Le deuxième acte s’ouvre d’ailleurs, non pas avec Rossini, mais avec le mythique « Love Theme » de Nino Rota.
Si l’ombre du Parrain plane sur cette mise en scène, elle n’influe pas sur la qualité du plateau vocal. Il est même, par moments, inutile de lire les surtitres, tant la diction de chacun est claire, même lorsque le tempo s’accélère et que la parole s’emballe.
Le ténor Sébastien Droy est un Comte Almaviva plein de ressources, qui joue parfaitement chacun de ses rôles de substitution dans sa ruse contre Don Bartolo. Son excellente diction, en particulier lors de son dialogue avec Figaro au premier acte, pâtit cependant d’une voix légèrement voilée, souvent recouverte par l’énergie de la fosse. Accompagnée d’un guitariste, la déclaration de Lindoro à Rosine est toutefois interprétée avec une juste intonation de cantaor et une danse de flamenco bien menée.
Le baryton Leonardo Galeazzi est un Don Bartolo que le public adore détester. Son jeu de scène exploite parfaitement les travers du personnage, amplifiés par les qualités vocales du baryton. Puissants, ses graves menacent, tenus, ses aigus cinglent, limpides. La diction ne se perd pas dans les accélérations de tempo et reste stable, impeccablement articulée.
Autre baryton, Armando Noguera est un Figaro retors évidemment très attendu sur la cavatine « Largo al Factotum ». Les espérances sont comblées. Légèreté du jeu scénique, Figaro, de-ci, de-là, ne perd aucune qualité vocale dans ses déplacements. Sa technicité impressionne, les passages des graves aux aigus sont maîtrisés, les vibratos somptueux, et la robustesse, constante, la voix s’élevant bien au-dessus de la fosse à chaque intervention. Le « Largo » lui vaut les ovations amplement méritées du public.
Le public retrouve avec joie la voix de basse somptueuse de Mischa Schelomianski récemment entendue dans Eugène Onéguine en ces lieux. Il campe ici un Don Basilio assurément « Don » mafioso, qui n’a du maître de musique que l’apparence. Les qualités de la basse traduisent intelligemment et intelligiblement « La calunnia è un venticello ». Mischa Schelomianski adapte ses graves au texte, suivant la progression de la calomnie, qui « murmure », « rôde » et finit par « gronder ». La basse s’adapte ainsi au texte, les graves se teintent de colorations variées tour à tour douces, menaçantes, tonitruantes.
Le baryton Julien Belle est Fiorello, au milieu de la pègre qui vient régler ses comptes en pleine rue au premier acte. Avant de tomber sous les coups de la bagarre générale, il expose efficacement la scène, graves sonores et voix bien implantée, accent italien cependant excessivement mâtiné de sonorités françaises.
Chez les femmes, Rocío Ignacio est aussi attendue qu’Armando Noguera pour l’autre légendaire cavatine, « Una voce poco fa ». La soprano incarne une Rosine authentique, espiègle et rusée, descendant de l’escalier au fur et à mesure de l’air, qu’elle ponctue de vibratos en abondance sur les premiers accords. Les artifices sont peut-être trop nombreux, les aigus acérés et stridulants, mais une fois passée la pression d’un air aussi célèbre, les aigus deviennent plus chaleureux et veloutés, la voix gagne en rondeur sans artifice inutile.
Aurélia Legay est une Donna Berta, ici mère de Bartolo et non servante, intensément fière de ses origines italiennes dans son jeu scénique. La soprano éclate littéralement sur son air « Il vecchiotto cerca moglie ». La maîtresse-femme transforme les aigus purs de son interrogation en une colère éclatante qu’engendre le constat de sa vieillesse.
Le Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole est aussi professionnel en groupe de mafiosi dans son jeu de scène que dans ses interventions vocales, le placement de voix toujours assuré même en pleine bagarre.
La direction de Kaspar Zehnder sied au ton de l’argument. L’ouverture célébrissime, au jeu enlevé, voit les archets sautiller. Les cuivres excellent à transcrire en musique les paroles de « La calunnia », gagnent en amplitude sur le « gonflement des têtes », alors que la grosse caisse résonne sur le « coup de canon ». Les cordes s’assombrissent pour accompagner Berta vieillissante. L’Orchestre national de Lorraine s’adapte à la vélocité requise en conservant aisance et fluidité, et renforce l’effet comique par petites touches, appui prononcé d’une trompette ou staccato des archets.
Les ovations du public qui ponctuent la représentation ne faiblissent pas pour le salut final.