Florissants Motets de Bach&Cie à la Philharmonie
Qui ? Quand ? Pour quoi ? Telles sont les questions que se posent les interprètes et les auditeurs face à un morceau de musique, explique Paul Agnew au fil de ce concert, dans son français au délicieux accent britannique. Or, pour ces Motets de Bach, explique le chef-ténor tel le narrateur d'un polar, même la première des questions soulève un mystère : qui a composé les motets de Bach ? ou plutôt quel membre de sa grande famille musicienne ? Si certains opus sont signés "Johann Sebastian Bach", d'autres affichent le seul nom de famille et auraient donc pu être l'œuvre de parents ou de descendants. Pour quoi ces œuvres étaient-elles destinées ? Ils étaient probablement interprétés devant la demeure du défunt en prélude aux hommages funéraires. Comment et par qui ? Sans doute par les mêmes solistes que les Cantates de Bach (dont le consensus musicologique mène à penser qu'elles étaient interprétées à un par voix, ce qui offre tout de même huit lignes indépendantes pour certains motets). Bien d'autres questions restent encore en suspens... leurs réponses ? Aucune idée ! s'exclame Agnew en haussant malicieusement des épaules, mais peu importe, "c'est la musique qui compte".
"Komm ! Komm ! Komm ! Jesu" (Viens !) exprimé d'un même souffle par les 11 musiciens (huit chanteurs et pour basse continue : un orgue, un violoncelle et un violone). Ce souffle uni par un même rythme se démultiplie alors dans les huit lignes vocales, se fuyant et se combinant selon le génie de Bach, jusqu'à se retrouver unies par la cadence sur un point d'orgue (longue tenue d'une note conclusive). Le premier motet offre alors une conclusion a cappella, tout comme le début du motet suivant "Ich lasse dich nicht" (Je ne te laisserai pas) avec de nombreux effets de rimes et rythmes rebondis : ich, dich, nicht. Ces allitérations marmonnantes s'emportent même dans une fugue alerte. Un impressionnant jeu de la patate chaude (qui sait s'apaiser) ! Fürchte dich nicht (Ne crains pas) pousse cet enchaînement allegro-lento au sublime, passant d'un rythme bondissant au temps suspendu avec le saisissant vers conclusif "Du bist mein" ("Tu es à moi" prononcé par Dieu ayant racheté l'homme pour le mener au Paradis). Chacun des huit motets composant le programme offre autant de souvenirs émouvants : les silences après "nichts" et la longue fugue a cappella sur "Gute Nacht" pour le célèbre motet "Jesu, meine Freude" (Jésus, ma joie), la douce et déchirante "tristesse en mon âme" ("Tristis est anima mea") balayée par les trilles descendantes "Das ist meine Freude" ("Pour moi, ma joie"), le ralenti sur "Gnade" (Grâce) pour "Lobet den Herrn, alle Heiden" ("Louez le Seigneur, toutes les nations") et son Alleluia exaltant, annonçant celui qui conclura le concert.
#Live Les motets de #Bach par @Paul Agnew et @lesartsflo à la @philharmonie . Intensité, intimité et recueillement. Photos DR - Charles d’Herouville pic.twitter.com/pwdxCP7E9m
— Les Arts Florissants (@lesartsflo) 3 avril 2018
Ce répertoire est merveilleusement interprété par l'union des huit voix aussi attentives qu'homogènes. Comme il sied pour ces œuvres chrétiennes, les individualités s'effacent au profit de l'harmonie universelle, d'autant que Bach combine les huit lignes pour recomposer différents chœurs dans le chœur. Les entrées successives permettent cependant d'apprécier quelques instants le soprano franc de Maud Gnidzaz, le plus doux de Natasha Schnur, Mélodie Ruvio pour son rond contralto, l'épuré contre-ténor Bruno Le Levreur sur les basses très justes (Anicet Castel et Cyril Costanzo). Nicholas Scott esquisse son ténor clairet, mais le pupitre est bien entendu dominé par Paul Agnew, puisque celui-ci dirige par sa voix très en-dehors (davantage qu'avec ses mouvements d'épaules et bien davantage encore que par ses mains, caressant le pupitre). Pour le continuo, l'orgue de Benoît Hartoin fait face aux chanteurs, avec à ses côtés Paul Carlioz au violoncelle et Richard Myron au violone (ancien parent du violoncelle). Ils composent ainsi un continuo se relayant (leurs tutti sont aussi rares qu'épisodiques) pour soutenir délicatement l'harmonie.
L'enthousiasme du public est tel qu'il applaudit chaque pièce sans attendre et donc sans laisser apprécier le silence qui suit les œuvres de Bach (et qui est encore du Bach), mais l'accueil chaleureux ne saurait être davantage mérité.