Così fan tutte : la fête foraine en direct du Met
Approchez, approchez, Mesdames et Messieurs et venez découvrir les artistes et monstres formidables qui habitent cette île enchantée de Mozart ! Admirez le magicien devant l'immense rideau doré, qui fait sortir de sa malle la farandole complète des freaks : charmeuse de serpent, cracheuse de feu, gymnaste, équilibriste, contorsionniste, avaleurs de sabre, nains, femme à barbe. Chacun brandit un panneau avec un mot annonçant un thème du spectacle : lies, lust (mensonge et luxure), arias, men, mais aussi chocolate et autres réjouissances. D'autant que les interprètes forment diverses phrases cocasses en changeant de place. Le public rit de bon cœur devant ces phrases et ces frasques, il le fera toute la représentation durant, entre deux salves d'applaudissements et autres wow! pour les décors fantastiques ainsi que les prestations vocales et d'acteurs des solistes. Sans oublier le soutien de l'orchestre. Sous la direction de David Robertson, la fosse est en pleine harmonie avec les nuances, effets et intentions du plateau, tandis que le clavecin bien présent est un vrai chef de chant sur les récitatifs.
Le freak, personnage de foire a inspiré l'imaginaire américain et cette mise en scène, comme en témoignait déjà ce film de Tod Browning en 1932 :
Tom Pye a en effet construit une suite de tableaux typiques des années 1950, ambiance Mad Men pour un salon, qui laisse bientôt place à la jetée de Coney Island avec les montagnes russes à l'arrière-plan. Le spectacle devient alors une féerie de couleurs et d'attractions : on se déclare sa flamme sur des cygnes flottants, et le show a pour pinacle ces manèges de chevaux de bois (ou bien ces grandes tasses tournantes dans lesquelles on s’assoit). L'harmonie ne saurait être meilleure avec les costumes (de Laura Hopkins) typiques des années 50, aux coupes et couleurs franches et évidentes.
Les deux héroïnes sont riches en souffle (ce qui leur permet d'assumer cet effet impressionnant sur leur duo : chacune tenant à son tour une très longue note sur laquelle l'autre varie). Elles ont également une tessiture complète. La soprano Amanda Majeski en Fiordiligi a une voix bien accrochée. Parfaite métaphore de sa prestation, elle voyage dans une Montgolfière pour "Per pietà, ben mio, perdona" (Par pitié, mon amour, pardonne) : ses graves chaleureux faisant en effet s'élever le ballon de ses aigus. En Dorabella, la mezzo Serena Malfi déploie sa belle enveloppe vocale, charpentée avec de généreuses résonances aiguës, doucement frondeuse avant de se laisser séduire.
Qu'il est admirable pour une artiste telle que Kelli O'Hara (certes habituée aux rôles fantasques de Broadway) que de camper la femme de ménage du Skyline Motel parmi ses papiers peints défraîchis et dont les murs pivotent pour révéler l'intérieur des chambres (donc les galipettes de toute nature qui s'y déroulent avec les acrobates). D'une voix déliée, cette Despina est mutine, aisée et allègre (rapide en vibrato et dans le passage entre les notes) : sûre de ce que veut son personnage, et sa voix. Elle paraît certes moins à l'aise dans ses deux déguisements qui franchissent le cap de la douce folie : en Doctor Magnetico's pour guérir les héros en les installant dans une machine tournante et fumante, puis en officier de mariage digne de Las Vegas (un cow-boy vert-pomme se lançant dans une square dance endiablée avec ses nains).
Les deux amants trompés et trompeurs appartiennent à l'US Navy (le texte chanté n'est pas modifié, mais la traduction affichée en sous-titres remplace "militaire" et "soldat" par "marin", de même que les sequins deviennent des dollars). Faisant mine de partir sur un paquebot (leurs fiancées les regardant dans l'un de ces télescopes à pièces), ils reviennent déguisés en loubards typiques des années 1950 avec jean, perfecto, moustache et dégaine. Ferrando est interprété par le ténor Ben Bliss d'une voix tenue et tonique, intense sur toute la ligne et l'ambitus. Il est délicieusement cruel de le voir en furie lorsque sa promise le trahit et qu'il jure de se venger en révélant que la promise de son ami Guglielmo ne vaut pas mieux. Le baryton qui tient ce personnage-ci, Adam Plachetka, est une voix large et puissante pour ce répertoire, amplifiée par un jeu d'acteur tout en rondeur et rodomontades. Enfin, le sixième et dernier personnage de cette intrigue, le manipulateur Don Alfonso (fort judicieusement transformé ici en magicien de foire) bénéficie de la voix ronde travaillée par Christopher Maltman ainsi que de sa noblesse de port et de visage (qui n'est pas sans rappeler Thomas Hampson).
Comme toujours, le Met émerveille par la qualité de sa direction d'acteurs et les retransmissions en direct dans le cinéma offrent -outre une réalisation impeccable- des reportages et interviews durant les entractes (l'occasion, entre autres, d'apprendre par la charmeuse de serpent le nom de son animal de compagnie : Rocky BalBoa). Nombre d'opéras à travers le monde rêveraient de programmer Joyce DiDonato (qui a beaucoup interprété Dorabella), elle est ici la présentatrice de ce show enchanté !