Bach et Ton Koopman : une grande histoire de Passion
En 1723, suite au déclin de leurs premiers choix, les administrateurs de Leipzig trouvent en Jean-Sébastien Bach (1685-1750) le nouveau Cantor de l’école Saint-Thomas. Outre ses obligations pédagogiques, le maître de chapelle a pour mission de composer une cantate pour chaque dimanche et chaque fête religieuse. Le Vendredi Saint, commémorant la Passion du Christ, est un événement des plus importants pour les chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants. C’est ainsi que, dès 1724, Bach compose cinq Passions dont seules deux nous sont parvenues. La première s’inspire du récit de l’Évangile selon Saint Jean, empreint d’un caractère symbolique. La seconde, d’après le récit de Saint Mathieu, est bien différente, surtout par ses dimensions monumentales : deux chœurs, deux orchestres et deux orgues. Si celle-ci fut longtemps préférée, Felix Mendelssohn (1809-1847) est le premier à redécouvrir la Passion selon Saint Jean en 1833 et à y déceler un aboutissement poétique et lyrique. Ce n’est toutefois qu’au XXe siècle que la critique et le public commencent à comprendre la puissance de cette œuvre en deux parties. Le chef et musicien Ton Koopman, éminent connaisseur du Baroque et de l’œuvre de Bach, est l'un des plus fidèles défenseurs de cette Passion, qu’il connaît maintenant sur le bout des doigts.
Ton Koopman dirige la Passion selon saint Matthieu à Amersfoort (Pays-Bas) en 2005 :
En introduction, l’orchestre commence dans un registre sombre, les vents flottant sur les cordes mouvantes, en un fin crescendo qui soudain fait jaillir les appels du chœur « Herr, Herr unser Herrscher » (Seigneur, Seigneur notre maître »). L’effet serait pleinement saisissant si, la salle de l’Auditorium de Lyon étant très grande, le son ne paraissait pas lointain. Il faut un certain temps pour que l’oreille s’habitue -heureusement- à l’espace sonore. Sous la direction confiante de Ton Koopman, l'Amsterdam Baroque Orchestra soigne cependant une partition intelligemment conduite, créant une atmosphère souvent oppressante. Le Chœur est aussi acteur de ces effets, notamment lors du « Weg, weg mit dem, kreuzige ihn » (Qu’on l’emmène, crucifie-le). L’œuvre est toutefois ponctuée de chorals luthériens qui apportent de très agréables moments de repos, suffisamment courts pour empêcher que l’action ne retombe.
Car la tension ne fait que grandir jusqu’au moment fatal, terriblement triste et déchirant, « Es ist vollbracht ! » (Tout est accompli). Le chant du contre-ténor Maarten Engeltjes, accompagné de Robert Smith à la viole de gambe, est si touchant que le silence qui suit est encore plus signifiant. C’est alors que chante, sur un fond aux superbes couleurs piani du chœur, la voix rassurante et profonde du baryton-basse Klaus Mertens. Par son timbre et sa stabilité, tant vocale que scénique, ses interventions façonnent un Jésus rayonnant de sagesse et de paix. La soprano Yetzabel Arias Fernandes, bien qu’intervenant épisodiquement, rayonne aussi par son timbre lumineux et ses superbes soutiens de phrasé.
Lors du chœur « Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine » (Reposez en paix, ô saints ossements), le temps semble s’arrêter et ne plus exister tant l’interprétation de la consolation et du repos est belle. Pourtant, la Vie subsiste : Bach et Koopman offrent à l’assemblée un dernier et superbe choral « Ach Herr, laβ dein lieb Engelein » (Ah ! Seigneur, laisse ton ange bien-aimé).
C’est après de longs applaudissements que Ton Koopman, ayant salué chacun de ses musiciens dans un énorme sourire, quitte le public lyonnais avec en bis ce superbe chœur final, empli d’espoir et d’une paix heureuse.