L'Élixir d'amour voit grand à Tours
Le petit prélude à l'opéra accompagné par une courte projection en dessin animé emporte d'emblée le spectateur dans un univers onirique aux lumières filtrées et avec la vision surréaliste d'une illusion microcosmique. Sur scène, avant d'être surpris par un énorme corbeau, les enfants batifolent autour d'une immense roue de tracteur abandonnée parmi un champ de blés et de coquelicots aux épis et tiges tout aussi gigantesques. Les villageois s'occupent de leurs tâches journalières de ramassage, cueillette, recyclage de déchets ou simplement de flirt pendant le chœur « Bel conforto al mietitore », mais les énormes pièces d'une page déchirée tombent alors du ciel et Adina (la soprano italienne Barbara Bargnesi), la souveraine s'occupe de les mettre en ordre et commence à les déchiffrer.
Profitant des dimensions du décor, Nemorino (le jeune ténor brésilien Gustavo Quaresma) se juche sur un gigantesque coquelicot et y reste perché pour son premier air, la cavatine « Quanto è bella ». Jamais forcée, sa voix est d'une belle pâte, avec un beau legato, un peu dans le format léger d'un Juan Diego Flórez. Léger, mais bien présent dans le medium et le grave, le chant s'allège encore en montant, comme c'est souvent le cas chez ces voix qui se spécialisent dans le répertoire melodramma giocoso/opera buffa. Pour sa part, c'est sur une sorte de chariot (tout aussi démesuré) qu'est surélevé Dulcamara (le baryton Marc Barrard, apprécié dans le Gala Offenbach diffusé par France 3) pour interpréter « Udite, udite, o rustici » de sa belle voix ample avec une très appréciable attention à l'articulation et à la précision rythmique (il soulève même les premiers applaudissements d'un public resté très silencieux jusque là). Sur cette lancée, à la fin du beau duo de Nemorino et Dulcamara « Voglio dire », M. Quaresma gratifie même l'auditoire d'un aigu bien produit en voix mixte, solide et vibrante (dans la tradition bel cantiste).
La cavatine « Della crudele Isotta » d'Adina est tout aussi bien chantée par Mme Bargnesi avec un vrai legato, une belle voix lyrique légère, ample, ronde et chaleureuse. L'articulation et la musicalité sont très précises, l'émission est ainsi libre et vibrante. La scène et duo « Chiedi all'aura lusinghiera » d'Adina et Nemorino offre un très beau moment d'union vocale et amoureuse. Les lignes se marient bien, même si la voix de Madame est un peu plus ample.
Belcore (le baryton Mikhael Piccone) ressemble à un Don Quichotte de recyclage, sortant d'une énorme boite de conserves avec toute sa garnison de village habillée en matériaux récupérés (leurs casques sont tels des demi-cosses de noisettes). Avec sa cavatine « Come Paride vezzoso », il campe un très convaincant personnage, le plus beau coq du village. Sa voix est un peu plus légère que celles habituellement entendues dans ce rôle : il est plutôt un baryton dans la tradition viennoise qu'italienne, mais il assume toutes les difficultés avec aplomb et incarnation.
Telles sont les réjouissances du seul premier acte, le spectacle se poursuivant avec ses traditionnels duos, trios, quatuors et ensembles choraux, l'occasion d'apprécier le Chœur de l'Opéra de Tours qui impressionne de plus en plus, d'année en année, par la précision musicale et la qualité sonore de l'ensemble.
Le deuxième (et dernier acte) conserve le même décor de base et y opère quelques variations aussi imposantes qu'ingénieuses : une ménagerie avec deux chevaux qui rappelle une boite à musique, une grande guirlande de Noël avec ses énormes ampoules multicolores (dont une qui offre la surprise de presque éclater dans un court-circuit). Le plateau vocal continue lui aussi son beau déploiement, notamment Barbara Bargnesi et Marc Barrard (toujours bien présents et rejoints par Julie Girerd, Giannetta au timbre léger, vif et énergique) et le chœur. La Barcarole en duo d'Adina et Dulcamara « Io son ricco e tu sei bella » est très mignonne, en ombres chinoises, comme le duo de Nemorino et Belcore « Venti scudi » joué sur la boite à musique (Belcore chevauchant ressemble alors vraiment à Don Quichotte, brandissant une épée de bois et tournant en rond tandis qu'un pauvre artiste tente de faire son portrait).
Bien entendu, le spectacle est marqué par l'air légendaire « Una furtiva lagrima », d'autant que le Nemorino de Quaresma l'interprète tout en douceur. Il ne cherche jamais à forcer pour impressionner le public. L'aria soprano la plus connue, « Prendi, per me sei libero » est ravissante, avec les pianissimi d'un fil de voix doux, touchant et vibrant.
Tout au long de la représentation, la belle direction musicale du maestro Samuel Jean invite l'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours à être particulièrement attentif à la beauté vocale, aux tempi, volumes sonores et à la synchronisation. Une connaissance du répertoire bel canto saluée en fin de spectacle par des applaudissements mérités.
Comme le veut la tradition, le spectacle se conclut en réunissant tous les personnages sur scène, pour le grand finale « Ei corregge ogni difetto ». Un vrai feu d'artifice vocal et musical (mais aussi scénique), qui se prolonge même une fois le rideau baissé et durant le salut des artistes par la projection d'un petit film.