Une Flûte enchantée enfantine mais sage à Clermont-Ferrand
Le début des années 1790 n’est pas une période faste pour l’activité musicale viennoise : le nouvel empereur Leopold II préfère porter davantage son attention sur les conflits avec la Turquie. Il autorise toutefois l’ouverture de théâtres privés, encourageant ainsi l’ambition de certains entrepreneurs, tel le comédien Emanuel Schikaneder. En 1791, celui-ci commande un opéra pour son Theater an der Wien à un de ses amis compositeurs, désœuvré et oublié de son empereur et protecteur, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). L’entrepreneur s’inspire de différentes sources littéraires pour composer le livret de cette « farce incroyable » en deux actes, pour reprendre les mots du Comte Zinzendorf. Tous les ingrédients sont réunis pour séduire le public populaire du théâtre et offrir à Mozart l’opportunité de synthétiser tout son art dramatique et musical. Le 30 septembre 1791, la création est effectivement un succès immédiat. Le compositeur viennois n’en profitera guère, disparaissant le 5 décembre de la même année.
Le parcours initiatique du jeune héros Tamino, son combat contre l’ignorance incarnée par la Reine de la Nuit et ses épreuves de l’obscurité aux Lumières imposées par le sage Sarastro, ainsi que l’appartenance du librettiste et du compositeur à la même chambre maçonnique, ont alimenté nombre d’interprétations symboliques. Cette théorie reste réfutée par certains musicologues : l’hétérogénéité du livret et la recherche du succès immédiat auprès d’un public populaire sont certains des arguments avancés. Il est curieux de remarquer aussi les nombreuses allusions sexistes, encore habituelles dans le milieu franc-maçonnique de la fin du XVIIIe, et pourtant contraires à l’idéal égalitaire de Mozart.
La mise en scène de Pierre Thirion-Vallet écarte volontairement ce débat en adoptant une interprétation sobre mais pertinente. Le Directeur général et artistique du Centre lyrique Clermont-Auvergne fonde sa lecture sur deux piliers : La Flûte est d’abord un rêve d’enfant écrit par et pour des adultes ; ce chef-d’œuvre lyrique illustre également le cheminement vers la Connaissance, matérialisé par les livres. L’action prend alors place dans la chambre du jeune Tamino, lieu identifiable par le lit qui trône au milieu de la scène et entouré d’immenses livres. Pour le deuxième acte, la couverture du plus grand livre s’ouvre pour faire apparaître un décor peint de bibliothèque, décor imaginé par Frank Aracil. La couverture est refermée à la toute fin pour retrouver l’idée de la chambre. Tamino s’y réveille et, comme le spectateur, ne sait plus s’il a rêvé ou vécu ses aventures. Le changement de décor est donc unique et modeste, tout comme les effets de lumières de Véronique Marsy : quelques éclairs et, une seule fois, une atmosphère nouvelle lors des retrouvailles de Tamino avec Pamina (acte II), avec une lumière bleue en fond. Il y a certes un autre jeu de lumières qui néanmoins peut se montrer perturbant pour les spectateurs dans l’acte II : Papageno y cherchant sa Papagena dans la salle, celle-ci est allumée comme à la normale. Il reste à saluer les costumes intemporels de Véronique Henriot, dont les inspirations vont d’Alice au pays des merveilles pour Pamina, à d’étoilées Catwomen pour la Reine de la Nuit et ses trois Dames.
Le metteur en scène ayant été baryton, il ne recherche pas les effets exubérants ou gratuits mais fait toute la place aux voix. Le charmant Tamino est interprété par l’albanais Klodyan Kacani, au beau timbre de ténor, aux intentions toujours sincères et colorées. Il faut saluer ses efforts de prononciation en français des parties parlées, dont il subsiste un agréable accent de pays de l’Est. Le rôle de la belle Pamina est endossé par la franco-américaine Erminie Blondel, qui séduit d’abord par sa légèreté et l’innocence de son timbre. Si celui-ci est toujours aussi agréable, le douloureux air de la soprane « Ach, ich fühl’s, es ist verschwunden » (Ah, je sens que la joie de l’amour a disparu – acte II) n’a pas l’assurance nécessaire pour toucher son public. La terrible Reine de la Nuit, mais pas moins souffrante de la séparation inévitable d’une mère et de sa fille, est chantée par la soprano Marlène Assayag. Elle semble d’abord ne pas vouloir forcer ses aigus afin de les garder pour son célèbre air du second acte, « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (la vengeance de l’Enfer bouillonne dans mon cœur) ; ils y sont bien placés, sans force exagérée ou inutile, lui valant de forts applaudissements. L’intimidant mage Sarastro est incarné par la basse Piotr Lempa, à la voix à la fois autoritaire et rassurante. Si les graves sont agréablement profonds, ils manquent tout de même de puissance. On peut regretter aussi une conduite de phrase manquant parfois de fluidité, d’où certainement quelques petits retards avec les musiciens.
Le rôle de Papageno est tout particulier : imaginé par Schikaneder pour lui-même, ce personnage est l’anti-héros populaire auquel on peut s’identifier. Les chauds applaudissements lors des saluts confirment cet engouement pour cet oiseleur et les talents de comédiens de Romain Dayez. Son timbre de chanteur gagne en largeur au fil du spectacle et offre un très réussi duo avec sa Papagena – la soprano Pauline Feracci – « Ein Mädchen oder Weibchen » (une amie ou une épouse – acte II). Il est toutefois dommage que le jeune baryton accuse souvent d’une avance, parfois importante, sur l’orchestre. Les décalages touchent aussi le trio des Dames (qui sont aussi celui des Garçons), dont on aimerait davantage de précision dans les ensembles, la diction et même parfois la justesse. Les quatre prêtres ou hommes d’arme sont plus en place, mais la justesse reste encore approximative dans certains passages, surtout pour les voix de ténors aux timbres plus tendus.
Le plateau vocal ne peut pourtant pas souffrir des attentifs et excellents musiciens de l’Opéra Nomade, sous la direction d’Amaury du Closel, fin connaisseur du répertoire mozartien. Les intentions de l’orchestre sont toujours claires, les accents et les couleurs soignés, les traits sont précis, particulièrement chez les cordes – si ce n’est peut-être quelques accords un peu trop arpégés. Jamais on ne peut se plaindre d’un mauvais équilibre avec le plateau.