À Lyon, Macbeth règne en despote sur le grand capitalisme et l’argent sale
Créée sur cette même scène de l’Opéra de Lyon en 2012, cette production du Macbeth de Verdi permettait au metteur en scène Ivo van Hove et à son équipe de fidèles collaborateurs -Jan Versweyveld pour les décors et les lumières, Wojciech Dziedzic pour les costumes, Tal Yarden pour la vidéo-, d’actualiser un ouvrage centré sur les deux monstres que sont Macbeth et sa terrifiante épouse, tous deux dévorés par l’ambition, l’argent et le pouvoir. Dans un gratte-ciel de Manhattan, une grande salle des marchés bardée d’écrans saturés par les cotations et les courbes du jour servira de décor unique à l’ensemble de l’opéra. Point de sorcières à l’ancienne, mais une horde de jeunes femmes, élégamment vêtues, tradeuses et pourvoyeuses des précieuses données informatisées : elles sont devenues indispensables à la bonne marche du monde. Des projections vidéo montrent en filigrane les meurtres du Roi Duncan et de Banquo mais aussi des vues de New York et des marches du fameux mouvement Occupy Wall Street (OWS) de 2011 avec sa part d’espoir et de renaissance. Ces manifestants envahiront la scène en fin d’ouvrage dans une explosion de couleurs et d’espérance. Et toujours chez Ivo van Hove -comme pour la pièce Les Damnés, montée dans la cour du Palais des Papes d’Avignon pour la troupe de la Comédie Française en 2016-, l’utilisation d’une caméra à l’épaule pour montrer en direct les gros plans.
Cette transposition de Macbeth alors jugée audacieuse demeure fort convaincante mais déjà un rien datée dans ses principes, le monde va si vite ! Si les mouvements des choristes et des figurants apparaissent parfaitement réglés, d’une précision millimétrée, les protagonistes principaux ne bénéficient pas toujours du même soin. Leurs rapports directs demeurent flous, imparfaits, un peu noyés dans cet univers moderne et envahissant. La folie apparaît en soit mieux exposée que ce soit celle qui envahit Lady Macbeth aux mains souillées de sang ou celle qui entraîne Macbeth vers un monde invisible lorsqu’il étrangle ici son épouse déjà moribonde. Ce dernier, après sa période de flamboyance ne sera pas tué, mais finira clochard miteux au milieu de la foule en liesse -la forêt de Birnam- qui vient de le renverser. Au milieu du chœur de fin, une courte harangue ajoutée vient comme conclure ce vaste propos : « Nous ne sommes pas des rêveurs. Nous sortons d’une rêverie qui est devenue un cauchemar ».
La couleur verte, celle des écrans, habille Lady Macbeth. Dotée d’un métier solide et faisant preuve d’efficacité, Susanna Branchini donne un relief certain au rôle vocalement si meurtrier. Pour l’avoir déjà chanté en scène, elle en connait les pièges sans tous pouvoir les éviter. Son interprétation de la Luce Langue notamment la pousse dans certains de ses retranchements et le contre-ré bémol final est donné à l’arraché. À ses côtés, le baryton Elchin Azizov manque de charisme et d’affirmation dans le rôle-titre. La voix n’est pas très grande et s’épuise sur la durée. Banquo bénéficie de tout le professionnalisme de Roberto Scandiuzzi tandis que le Malcom de Louis Zaitoun apparaît un rien léger. Remplaçant Arseny Yakovlev souffrant, le ténor Leonardo Capalbo campe un très convaincant Macduff et donne un singulier relief à son air fameux Ah, la paterna mano. Il possède un grain verdien indéniable, une aisance qui le distingue. Dans les très brefs rôles du médecin et de la suivante, Patrick Bolleire et Clémence Poussin se font remarquer.
Il convient de saluer comme il se doit la qualité des Chœurs de l’Opéra de Lyon préparés par Marco Ozbic. Plus encore peut-être que dans Don Carlos, les affinités électives de Daniele Rustioni avec la musique et la dramaturgie de Verdi apparaissent puissantes, flagrantes. Sa direction musicale de Macbeth toute empreinte de flamme et pourtant d’une sensibilité expressive patente, pourrait appeler à de prestigieuses comparaisons. Mais la personnalité artistique de ce jeune chef paraît suffisamment solide et personnelle pour qu’on puisse aisément s’en passer.