Une Butterfly berlinoise classique, bien adaptée au grand théâtre
Ayant souffert d’un dégât des eaux en décembre, le Deutsche Oper de Berlin propose à son public des mises en scène nouvelles et reprises dans des versions « scéniques », gardant les costumes et adaptant les décors en raison de la capacité réduite de la machinerie. L’une d’elles est la Madame Butterfly de Pier Luigi Samaritani (mise en scène, costumes et décors), dont la première a eu lieu en 1987. Malgré la réduction annoncée, la production très classique ne semble manquer de rien. Deux paravents coulissants à la japonaise forment, en combinaison avec un sublime éclairage, le cadre d’une scénographie à la fois efficace et captivante, marquée par des silhouettes et la pluralité des espaces scéniques.
Un régal pour les yeux, ce traitement fidèle aux intentions du compositeur offre aussi un cadrage modèle pour les chanteurs invités que recrute le théâtre pour les performances du répertoire, telle María José Siri, soprano uruguayenne qui a déjà incarné la jeune héroïne du titre à Milan, Vienne, Munich et Macerata. Son interprétation, assez traditionnelle et chargée d’émotions, se manifeste aussi bien par des gestes quelque peu stylisés et de longues phrases finement menées, que par un registre haut solide et beau, souvent scintillant et avec une richesse de timbre. Le duo avec Pinkerton concluant le premier acte marque le temps fort de sa prestation vocale et scénique. L’aspect le plus fascinant de son portrait est toutefois l’aura de confiance en soi que la chanteuse porte en elle : son ton et son apparence sourient aux spectateurs.
Jana Kurucová, sa servante, présente au début une Suzuki modérée. L’espace sonore étant plutôt empli par la voix de sa maîtresse, elle se distingue avant tout par son jeu théâtral : ses répliques off, son apparition empathique et une expression quelquefois très proche d’une voix naturelle, presque parlée, font d’elle un personnage indispensable au drame. Sa scène avec la compréhensive Kate Pinkerton de Vasilisa Berzhanskaya devient un événement mélodramatique fort déchirant, et dans le « Duo des fleurs », son registre haut se mêle parfaitement au timbre et au phrasé de Cio-Cio-San.
La veille, Dong-Hwan Lee et Ya-Chung Huang avaient chanté les rôles de Pong et Ping dans Turandot. Ils reviennent ce soir avec des voix fraîches pour présenter deux personnages différents. Le Goro de Ya-Chung Huang, entremetteur de mariage devenant souteneur vêtu d’une pelisse, tient une voix claire puissamment projetée. Dong-Hwan Lee accorde au consul américain Sharpless la beauté d’une tessiture homogène, forte et présente, confiante en soi. Il construit un Sharpless statique et détaché du destin de Cio-Cio-San, une interprétation assez inhabituelle aujourd’hui. Dans le rôle mineur du Prince Yamadori, Jörg Schörner dresse un portrait bien plus touchant qu’à l’habitude.
Souvent mis en scène comme un méchant colonialiste, le Pinkerton de Piero Pretti est rendu plus aimable au travers de son jeu et de son chant. Les voyelles souriantes de son ténor lyrique rappellent parfois la douceur de Nicolai Gedda, feu ténor suédois. Le jeune rêveur romantique et introverti chante sa colère envers le Bonze, le mauvais oncle de Butterfly, avec intensité et crédibilité. Plus tard, il charme Cio-Cio-San et le public avec de longues lignes divinement tenues et des aigus qui brillent, tout en donnant presque l’impression que c’est elle et non pas lui qui initie et dirige leur rencontre.
La direction de Carlo Rizzi contribue beaucoup au succès théâtral de la soirée. Sa lecture de la partition met l’accent sur le Puccini romantique, avec une tendance à amplifier les volumes durant les arias. Pour contrebalancer, il exhibe une superbe intuition pour le choix de tempi intensifiant avantageusement les situations dramatiques, jouant ainsi un rôle prépondérant pour l’ambiance tendue et douloureuse, tantôt triomphante, puis pleine d’intensité, jusqu’à l'acmé.