Une « rose rouge », un « rossignol » : Monsieur Beaucaire apporte le printemps à Marseille !
Monsieur Beaucaire connut en son temps un succès phénoménal : créé à Birmingham en 1919, il fut rapidement traduit en français, puis monté à Paris dès 1925 au Théâtre Marigny avec André Baugé, et restera à l’affiche pour plus de 200 représentations. En 1955, il fait son entrée à l’Opéra Comique, avec en tête d’affiche un couple de légende : Jacques Jansen et Denise Duval. Entre-temps, l’œuvre aura également conquis Londres, et même Broadway.
L’intrigue, tirée du roman homonyme de l’auteur américain Booth Tarkington (1900), est relativement simple : elle prend place en 1715 dans le comté du Somerset, à Bath. Philippe, Duc d’Orléans, héritier du trône de France, momentanément exilé par le roi, y séjourne sous une fausse identité (il se fait passer pour un barbier du nom de Monsieur Beaucaire) et tombe amoureux de la belle Lady Mary. Ses amours sont contrariées par un rival jaloux, Winterset, mais in fine, l’amour triomphera : Lady Mary aime le jeune homme sans connaître sa véritable identité ni son rang, et quand on rappelle le Duc d’Orléans à la cour de France et que l’identité du faux barbier est révélée, Lady Mary est prête à suivre son nouvel époux outre-Manche.
Qu’André Messager fut un musicien important, nul ne le contestera. Créateur de Louise ou de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique, co-directeur de l’Opéra de Paris, il assura la direction de la musique et de l’orchestre à Covent Garden de 1901 à 1907 et fut également un chef wagnérien réputé. Nulle surprise, par conséquent, d’entendre dans l’orchestre de Monsieur Beaucaire des raffinements, des couleurs, des subtilités pas toujours de mise dans le répertoire léger. L’œuvre est par ailleurs finement écrite pour les voix et permet notamment au baryton qui chante le rôle-titre de faire valoir sa science du legato, son sens des nuances, mais aussi ses qualités d’interprète, le personnage de Beaucaire se montrant tout à tour tendre, viril, moqueur, fier, amoureux. Les plus grands barytons français se sont d’ailleurs intéressés au rôle, ceux de l’âge d’or de l’après-guerre (Michel Dens, Jacques Jansen, Robert Massard) ou encore leur héritier François Le Roux.
Il faut, pour rendre justice à cette « opérette romantique », une troupe de chanteurs-acteurs d’une part rompus au style français, d’autre part capables de jouer la comédie, la partie parlée étant importante (et même parfois un peu « bavarde »). La gageure a été relevée par l’Odéon de Marseille : les interprètes sont absolument crédibles scéniquement, savent jouer la comédie, et offrent des interprétations vocales de qualité. Tous les seconds rôles seraient à citer, d’Arnaud Delmotte, très drôle en brute décérébrée (le capitaine Badger !), aux laquais campés par Frédéric Cornille et Gilen Goicoechea, sans oublier Guy Bonfiglio campant un Winterset détestable à souhait, ou Dominique Desmons, Nash dépassé par les événements détaillant ses couplets « Jadis, quand j’étais roi de Bath » avec humour, ou encore Antoine Bonelli, Bantison pleutre et ridicule, dont l’accent marseillais (heureusement conservé dans ce rôle de noble anglais !) ajoute un surcroît de comique.
Le couple « noble » (Lady Mary et Monsieur Beaucaire) est flanqué de doubles plus prosaïques, donnant à voir une version plus terre à terre et plus triviale des mésaventures amoureuses vécues par les deux héros. Jennifer Courcier joue parfaitement la jeune femme capricieuse, boudeuse mais amoureuse. Elle forme, avec Samy Camps, un couple parfaitement assorti, le jeune ténor campant un Molyneux drôle, tendre et touchant sous ses aspects de grand benêt. Leur duo du dernier acte (« Je connaissais une belle ») est joliment interprété, avec une belle complicité entre les deux interprètes.
Charlotte Bonnet impressionne le public en Lady Mary, par sa voix chaude, puissante, se déployant sans effort apparent, et surtout gardant sa rondeur et son velouté dans les aigus et les forte. Elle nuance délicatement son air du Rossignol au deuxième acte, très applaudi, et remporte un succès mérité aux saluts finals. Qui plus est, la jeune femme est très élégante : ses gestes et son noble port de tête conviennent parfaitement au personnage de cette aristocrate anglaise.
Après ses interprétations remarquées du mari dans Les Mamelles de Tirésias, de Karnac dans Le Roi d’Ys, de Valentin ou d’Hamlet, Régis Mengus est désormais un baryton avec lequel il faut compter. Comme sa partenaire féminine, le jeune chanteur présente une parfaite adéquation physique et vocale au rôle-titre. Lui aussi très élégant et à l’aise scéniquement, il fait entendre une voix veloutée et un chant nuancé, se payant même le luxe d’un joli diminuendo sur l’aigu final de l’air de la Rose. Deux jeunes chanteurs à suivre, assurément !
Les chœurs et l’orchestre de l’Odéon défendent l’œuvre avec énergie sous la direction impliquée de Bruno Membrey. Les moyens et les contraintes propres au théâtre de l’Odéon ne permettent pas de grandes mises en scène. Celle proposée par Jean-Jacques Chazalet est traditionnelle, elle prend place dans des décors rudimentaires permettant de situer rapidement l’action. Les costumes des interprètes comme ceux des choristes ou des danseurs sont très soignés. Le public, bon enfant, rit de bon cœur aux mots d’esprit dont est émaillé le livret, applaudit chaleureusement les airs, duos ou ensembles et fait fête aux artistes au rideau final (sauf au méchant, qui semble avoir été un peu malmené non pour sa prestation mais… parce qu’il est le méchant !), et la troupe est amenée à reprendre plusieurs fois le finale, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Le succès public remporté par cette production, de même que celui ayant couronné le beau concert de Radio-France en octobre 2016 permettra-t-il de faire sortir André Messager du purgatoire relatif dans lequel il séjourne depuis assez longtemps ? Le Châtelet a bien proposé une Véronique il y a dix ans, Fortunio a été remonté depuis l’enregistrement dirigé par Gardiner en 1993 (à l’Opéra Comique en 2009, à Saint-Étienne en 2014), Madame Chrysanthème a fait une belle réapparition à Marseille en 2016. Les P’tites Michu (1897) reviendront à Nantes puis à l'Athénée en juin (réservations), avant une longue tournée. Mais François les bas-bleus (1883), Passionnément (1926) ou Coups de roulis (1928) mériteraient d’être de nouveau soumis à l’écoute et à l’appréciation des mélomanes.