Dusapin compose, arrange et récite la Melancholia à la Philharmonie
Après Le Studio et avant la Grande Salle, le week-end Dusapin offre l'occasion de retrouver un autre espace de la Philharmonie de Paris, situé dans la Cité de la musique : non pas l'habituelle Salle des concerts mais l'Amphithéâtre avec son bel orgue au cadre en bois sculpté. « Une voix parvient à quelqu'un dans le noir. Imaginez ! » nous exhorte la voix du compositeur Pascal Dusapin qui a fait le choix de s'exposer en personne et de porter sur ses épaules la charge d'ouvrir le concert et d'attirer l'attention sur lui en récitant tout d'abord un extrait de "Compagnie" écrit par Samuel Beckett.
Hélas, il rappelle que la récitation est un véritable métier d'acteur. Après ce long moment empli de maladresse et de bafouilles, place à la vitalité musicale d'une sonate où la clarinette aux accents jazz et aux élans klezmers bondit sur un piano trampoline. La clarinette ressort ensuite du silence avec une infinie douceur. Même les puissants coups de poing martelés au piano s'allongent en résonances portant l'instrument à vent à travers cet opus intitulé By the Way (composé entre 2012 et 2014) et vers le suivant. Dans une somptueuse robe fendue, noire et cintrée, la soprano Raquel Camarinha (retrouvez notre compte-rendu de sa prestation dans La Passion selon Sade ainsi que notre interview lors de sa nomination aux Victoires de la Musique Classique) vient ensuite prendre la place de la clarinette, pour interpréter Wolken (2013-2014), toujours de Dusapin mais sur des textes de Goethe.
L'absence de sur-titrage et l'obscurité de la salle interdisent la lecture des textes allemands sur le programme, invitant dès lors à se plonger dans la mélancolie de la musique, sinon du texte. Le registre vocal très aigu et très grave complique la prononciation, mais l'articulation demeure nette et intelligible. L'émotion également et le temps reste suspendu un long moment sur sa dernière note filée, le temps de se rendre compte que le cycle s'est refermé, que la lumière s'éteigne puis se rallume, de nouveau sur Raquel Camarinha mais en laissant le piano dans l'ombre, pour éveiller cette fois à la lumière un presque quatuor à cordes (le violon 2 étant remplacé par la clarinette ayant ouvert le concert). L'arrangement signé Dusapin (et créé à l'occasion de ce concert) de la célèbre Marguerite de Franz Schubert (Gretchen am Spinnrade) peine cependant à bien faire tourner le rouet et se pique sur les aigus.
La clarinette et la chanteuse se retirent dans l'obscurité pour laisser la parole aux Microgrammes (2010), sept pièces pour trio à cordes tout en harmoniques et sons saturés, les archets et les doigts effleurant ou écrasant les cordes, souvent dans le son métallique proche du chevalet, tantôt lentement, tantôt en coups de fouets et réminiscence de l'Allegro Barbaro (composé par Bartók, qui est à l'affiche du concert donné dans la foulée à quelques pas de là).
Suit le Nacht und Träume, sublime Lied de Schubert, capable de porter à lui seul la mélancolie du programme (et du monde), mais dont Pascal Dusapin a souhaité faire un arrangement (tous les morceaux du programme portent ainsi sa patte). Cet arrangement consiste à enlever le piano pour le remplacer par des sons bucoliques sur haut-parleurs : vent dans le lointain, rivière, envol d'un oiseau, pivert frappant un arbre de son bec.
Après une nouvelle récitation de Pascal Dusapin, à peine moins longue que la première, le concert se prolonge et se conclut dans la délicatesse et une grande justesse par Samuel Beckett, avec le trio du compositeur pour soprano, clarinette et piano intitulé Beckett's Bones (composé entre 2007 et 2015). Admiratif notamment devant le recto tono de Raquel Camarinha, ces mélodies sur une seule note émises du bout des lèvres, s'ouvrant progressivement, montant vers un aigu d'argent en conservant la rondeur des mediums, le public aura tenu à venir et rester nombreux jusqu'à la fin du concert pour féliciter les interprètes, quitte à courir pour rejoindre la Grande Salle où le concert suivant commence quelques instants plus tard :