O Mensch! de Dusapin par Georg Nigl à la Philharmonie : hommage à Schubert en clair obscur
Le Studio, auditorium de la Philharmonie de Paris est rempli par 200 spectateurs venus assister au premier concert du week-end Dusapin. L'œuvre unique choisie suffit à ce concert, il s'agit du cycle de 27 Lieder intitulé O Mensch! sous-titré Inventaire raisonné de quelques passions Nietzschéennes. Composé entre 2008 et 2009, sur des textes du philosophe de la mort de Dieu, l'opus s'inspire également d'une photo en noir et blanc prise par Pascal Dusapin lui-même, durant l'hiver 1994 dans les rues de Barcelone (le programme reproduit cette photo, plongeant sur de l'eau coulant dans un caniveau). Surtout, ce projet a été réalisé sur demande du baryton Georg Nigl, qui créa l'œuvre aux Bouffes du Nord en 2011 (dans la suite de sa collaboration sur les deux précédents opéras de Dusapin : Faustus, the Last Night composé en 2006 et Passion en 2008).
Les lumières s'éteignent pour signaler le début d'un concert qui restera dans l'obscurité et la pénombre. Le claquement des talons des interprètes entrant sur scène est accompagné par le son enregistré d'un vrombissement lointain, bientôt ponctué de cigales, des sons qui reviendront mais sans susciter d'intérêt quelconque en regard de la voix exceptionnelle qui porte l'œuvre. Georg Nigl s'est entièrement approprié O Mensch! Il la connaît, la chante et la vit comme un air du grand répertoire qu'il aurait côtoyé depuis des décennies. Pour ce faire, il peut certes s'appuyer sur sa connaissance de Schubert, de Berg et de Schoenberg. Le personnage que compose ce cycle est en effet un lointain descendant du Voyageur d'hiver, l'intensité dramatique rappelle Wozzeck (notamment la deuxième scène dans le bois halluciné) et la ligne vocale convoque un parlé-chanté (sprechgesang du Pierrot lunaire). Une nouvelle illustration des talents déployés par Georg Nigl dans le répertoire moderne, notamment un mois après son incarnation du Prisonnier de Luigi Dallapiccola à La Monnaie. Mais la modernité sait aussi conserver la beauté vocale, en particulier ces appogiatures diatoniques et chromatiques (dissonances se résolvant sur une consonance en descendant d'une note), réminiscences de la musique tonale. Si les belles lignes sont à la voix, le pianiste Sébastien Vichard remplit également son office avec un accompagnement complètement différent, fait de nappes sonores dissonantes, déchirées par des stridences, picotements et coups de poing. Le clavier est ainsi très délié, versant plus dans l'aspect intellectualiste de la musique moderne que dans l'hommage romantique à Schubert.
Il soutient toutefois avec beaucoup d'application la prononciation remarquable du chanteur, aussi intelligible qu'investie et ce même lorsque Dusapin explore les régions bien au-delà de sa tessiture de baryton (graves de mort, suraigus hallucinés). Parvenu au bout de son voyage vocal et sentimental, marchant vers les acclamations qui l'attendent, le chanteur s'assoit aux côtés du pianiste et joue même une petite mélodie dans l'aigu, sur le glas que tient l'instrumentiste. Un oxymore métaphorique typiquement romantique.
Le week-end Dusapin continue à la Philharmonie avec :